Une découverte macabre ravive l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire coloniale française en Afrique de l’Ouest. Des archéologues ont mis au jour plusieurs squelettes humains portant des traces de balles, dans le cimetière militaire de Thiaroye, près de Dakar, là même où furent inhumées les victimes du massacre de décembre 1944. Cette information, révélée le mercredi 4 juin par une source proche du dossier, a été confirmée à l’Agence France-Presse (AFP).
Ces fouilles, entamées en mai dernier, sont les premières de cette ampleur à être menées sur le site. Elles visent à élucider les circonstances d’un drame longtemps occulté : l’exécution de dizaines, voire de centaines de tirailleurs africains par l’armée française, alors qu’ils réclamaient le paiement de leur solde après leur retour d’Europe, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
« Des squelettes humains ont été découverts avec des projectiles logés dans le corps, certains au niveau de la poitrine. Les balles retrouvées présentent des calibres variés », a déclaré la source, précisant que seule une portion réduite du cimetière a, pour l’heure, été fouillée. Une expertise balistique est envisagée pour déterminer le type d’armes utilisées, tandis que des analyses ADN pourraient permettre d’identifier certaines victimes.
Longtemps considéré comme un sujet tabou, le massacre de Thiaroye reste marqué par de nombreuses zones d’ombre. Les autorités coloniales françaises de l’époque avaient reconnu officiellement 35 morts. Mais plusieurs historiens, s’appuyant sur des témoignages et des documents partiels, avancent un bilan bien plus lourd : jusqu’à 300 voire 400 tirailleurs tués. Leur identité, leur nombre exact, ainsi que les modalités de leur exécution n’ont jamais été pleinement établis.
Face à cette opacité, de nombreux chercheurs réclamaient depuis des années des investigations sur le terrain, notamment à Thiaroye et dans le camp militaire voisin, où les soldats africains avaient été cantonnés à leur retour du front.
Le 19 février 2024, dans un contexte de renforcement du discours souverainiste, les autorités sénégalaises ont annoncé le lancement officiel des fouilles, affirmant vouloir faire toute la lumière sur cet épisode tragique. Dakar accuse Paris de retenir des archives essentielles à la compréhension des faits, en particulier sur le bilan humain du massacre.
En avril dernier, un comité sénégalais de chercheurs devait remettre un rapport au gouvernement, mais sa publication a été reportée sans qu’aucune justification officielle ne soit apportée.
La reconnaissance, par la France, du massacre de Thiaroye fin novembre 2024 – la veille du 80e anniversaire de l’événement – avait constitué un tournant symbolique. Le Sénégal avait alors organisé une commémoration d’une ampleur inédite.
Le 1er décembre 1944, les forces françaises ouvrirent le feu sur des tirailleurs ouest-africains rapatriés du front européen. Ces hommes, venus du Sénégal mais aussi du Mali, du Burkina Faso, du Bénin ou encore de Guinée, réclamaient simplement le versement de leur solde. Ce crime colonial, longtemps ignoré, semble aujourd’hui s’inviter à nouveau dans la mémoire collective, à la faveur de cette troublante découverte archéologique.
Article écrit par : Fatoumata Diop
Mis en ligne : 08/06/2025
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