Ndella Madior Diouf, fondatrice de la pouponnière Keur Yeurmandé, sera prochainement jugée pour une série de chefs d’accusation graves, allant de l’homicide involontaire à l’exploitation illégale d’une pouponnière, en passant par la traite de personnes. La responsabilité dans ce drame humanitaire ne saurait être portée uniquement par une femme. Elle est aussi et surtout, celle d’un système institutionnel profondément défaillant.
L’émoi suscité par la découverte, fin 2023, des conditions alarmantes dans lesquelles vivaient les nourrissons de la pouponnière a mis en lumière l’horreur, mais aussi l’inertie prolongée des autorités publiques. Six nourrissons morts, des dizaines d’enfants mal nourris et sans soins : comment une telle situation a-t-elle pu perdurer sans qu’aucune alerte institutionnelle ne soit activée ? Keur Yeurmandé n’est pas une structure clandestine au fond d’un bois. Elle existait, opérait, accueillait des enfants, sollicitait des aides, et cela en pleine vue de tous.
Le cœur du scandale ne réside pas uniquement dans les pratiques de Ndella Madior Diouf, aussi répréhensibles soient-elles. Il se trouve également dans le silence assourdissant des services sociaux, des autorités sanitaires, des collectivités locales, et même de certaines ONG partenaires. Où étaient les inspections ? Pourquoi la structure a-t-elle pu fonctionner sans agrément ? Pourquoi les alertes de certains anciens bénévoles ou visiteurs n’ont-elles pas été prises au sérieux ?
La culture de l’impunité dans l’administration sénégalaise n’est plus à démontrer. Elle nourrit des situations où la négligence devient norme, jusqu’à ce que l’irréparable survienne. Ce n’est pas seulement Keur Yeurmandé que nous devons juger, mais aussi les chaînes de responsabilités administratives, techniques et politiques qui ont permis que cette tragédie se produise.
Ce scandale rappelle tristement d’autres affaires survenues ailleurs, comme le drame des orphelinats clandestins en Haïti ou certaines structures de l’Inde rurale où les autorités locales ferment les yeux malgré des signaux d’alerte répétés. Dans ces contextes, la justice n’a pas seulement poursuivi les gestionnaires directs, mais également les agents publics qui avaient failli à leur devoir de contrôle et de protection.
Si le procès de Ndella Madior Diouf doit faire émerger la vérité, il doit aussi ouvrir un second chantier judiciaire et administratif : celui de la reddition de comptes des responsables institutionnels. Pourquoi aucun agent du ministère de la Santé ou des affaires sociales n’a été entendu ? Pourquoi les mairies concernées n’ont-elles pas été interpellées ? Le Sénégal ne peut continuer à se contenter de désigner un bouc émissaire pendant que les véritables garants de la sécurité des enfants restent à l’abri des poursuites.
Ndella Madior Diouf doit répondre de ses actes. Mais limiter l’analyse à sa seule responsabilité serait injuste, voire complice. Ce procès doit être l’occasion d’un sursaut national sur la protection de l’enfance et la redevabilité des institutions. Il faut exiger des comptes à tous les niveaux. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons espérer éviter qu’un tel drame ne se reproduise.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Eve Sagna.
Mis en ligne : 01/07/2025
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