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Lors d’un déplacement au Kenya, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a rendu hommage, en anglais, à des figures historiques kényanes. Ce geste, salué par les dirigeants africains présents, a pourtant été détourné en milliers de vidéos moqueuses sur TikTok, centrées sur son accent. Si l’humour est une liberté, réduire un discours politique à une caricature linguistique révèle une ignorance crasse du contexte historique et une complaisance envers la désinformation. En se focalisant sur la forme plutôt que sur le fond, les internautes ont non seulement manqué de respect envers un chef d’État, mais aussi envers l’histoire africaine et les enjeux de la communication postcoloniale.
L’anglais n’est pas une langue neutre pour les Africains francophones. Elle a été imposée comme outil de domination pendant la colonisation, puis maintenue comme langue de communication internationale, souvent au détriment des langues locales.
Au Sénégal, comme dans beaucoup de pays africains, l’enseignement de l’anglais reste marqué par cet héritage colonial, où une élite formée dans les langues des anciens colonisateurs doit naviguer entre plusieurs idiomes pour se faire entendre sur la scène internationale. Dans ce contexte, s’exprimer en anglais pour un dirigeant francophone est un exercice complexe, chargé de symboles et de défis. Critiquer sa prononciation, c’est ignorer délibérément ce poids historique et réduire son effort à une simple performance comique.
Les réseaux sociaux, et TikTok en particulier, ont le pouvoir d’amplifier certains aspects d’un discours au détriment d’autres. Ici, l’algorithme a favorisé la viralité de vidéos moqueuses, reléguant au second plan le message de Diomaye Faye : un hommage aux luttes panafricaines pour la souveraineté. Pourtant, les études montrent que TikTok est un terreau fertile pour la désinformation et la superficialité. Les contenus viraux y sont souvent ceux qui suscitent des réactions immédiates (rire, indignation), au détriment de la nuance et de la réflexion. Les internautes qui rient de son accent connaissent-ils seulement l’histoire de Jomo Kenyatta ou des autres héros cités ? Probablement pas. Pire, en retenant seulement la caricature, ils participent à une forme de désinformation passive : on se souvient de la moquerie, pas du message.
Premièrement, se moquer d’un accent, c’est souvent une forme de discrimination linguistique, surtout quand elle cible des locuteurs non natifs. En France, par exemple, imiter un accent méridional ou maghrébin est régulièrement dénoncé comme une forme de glottophobie, un mépris envers ceux qui ne parlent pas la langue « parfaite ». Pourquoi en serait-il autrement pour un dirigeant africain ? Deuxièmement, ces moqueries occultent l’essentiel : Diomaye Faye a choisi de s’exprimer en anglais pour honorer son hôte et rappeler l’importance de l’unité africaine. Enfin, TikTok, en promouvant ces vidéos, contribue à banaliser un phénomène plus large : la réduction des discours politiques à des « memes », ce qui appauvrit le débat public et favorise l’ignorance.
Imagine-t-on un instant que des dirigeants occidentaux soient moqués de la même manière pour leur accent en langue étrangère ? Quand Emmanuel Macron s’exprime en anglais, ses erreurs sont rarement montées en épingle. Pourtant, pour un Africain, chaque mot prononcé dans une langue ex-coloniale est un rappel de l’asymétrie des pouvoirs linguistiques. La différence de traitement est flagrante et révèle un double standard : l’accent d’un Africain devient un objet de ridicule, tandis que celui d’un Européen est souvent excusé, voire trouvé « charmant ».
Se moquer de la prononciation de Diomaye Faye, c’est ignorer volontairement le fond de son discours et mépriser l’effort de communication dans une langue qui n’est pas la sienne. C’est aussi participer à une culture du divertissement qui privilégie le rire facile à la réflexion. Les réseaux sociaux ont un rôle à jouer dans la diffusion de l’information, mais ils ne devraient pas servir à trivialiser l’histoire ou à humilier ceux qui tentent de construire des ponts entre les peuples. On doit demander plus de responsabilité aux plateformes comme TikTok, et plus de lucidité aux utilisateurs : derrière chaque accent, il y a une histoire, un effort, et souvent, un message bien plus important que la forme.
La prochaine fois qu’une vidéo moqueuse circule, posons-nous la question : que retient-on vraiment ? Le rire facile, ou le sens du discours ? Le respect commence par l’écoute – et l’écoute, par la volonté de comprendre au-delà des apparences.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Mounass Ng.
Mis en ligne : 03/11/2025
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