Le Canada, pays souvent cité en exemple pour son multiculturalisme et son accueil des migrants, se retrouve aujourd’hui face à un scandale d’ampleur.
Le gouvernement canadien est poursuivi en justice pour avoir « violé les droits » de milliers de migrants en les incarcérant dans des prisons fédérales aux côtés de criminels endurcis, en attendant la régularisation de leur situation.
Cette affaire choquante, révélée dans un jugement de la Cour supérieure de l’Ontario, concerne plus de 8 000 migrants détenus entre 2016 et 2023, pour la plupart des demandeurs d’asile n’ayant commis aucun crime. Parqués dans 87 prisons à travers le pays, ils ont subi les mêmes conditions de détention que les détenus de droit commun : fouilles à nu, port de chaînes et de menottes, cohabitation forcée avec des délinquants violents.
Selon les avocats des plaignants, cette pratique viole les droits des migrants tels que garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. La détention pour des raisons d’immigration est une mesure administrative et ne devrait en aucun cas revêtir un caractère punitif. Pourtant, c’est bien ce qu’ont vécu ces milliers d’hommes et de femmes durant leur incarcération.
Au-delà de l’atteinte à la dignité, ces conditions de détention se sont avérées traumatisantes pour nombre de migrants. Confrontés à la violence carcérale, à la consommation de drogue et à un sentiment profond d’impuissance, certains en gardent des séquelles psychologiques durables, alors même que leur demande d’asile a fini par aboutir.
C’est l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) qui est au cœur de cette polémique. Ayant le pouvoir de détenir des migrants lorsqu’il y a des doutes sur leur identité, des craintes qu’ils ne se présentent pas aux procédures d’immigration ou des raisons de sécurité publique, l’ASFC a systématiquement privilégié leur incarcération en prison plutôt que dans ses propres centres de surveillance.
Entre 2016 et 2023, 8 360 migrants ont ainsi été envoyés en prison sur décision de l’ASFC.
Ils y ont subi les mêmes conditions que les détenus criminels : fouilles, entrave des mouvements, cohabitation forcée.
L’ASFC dispose pourtant de 3 centres de surveillance spécifiques pour les étrangers en instance de régularisation.
Face à ces révélations accablantes, le gouvernement canadien, qui peut encore faire appel, a indiqué via un porte-parole qu’il allait « prendre le temps d’examiner la décision du tribunal avant de décider de la marche à suivre ». Une prudence de mise face à l’ampleur potentielle des dédommagements réclamés – 100 millions de dollars canadiens – et au préjudice d’image pour le pays.
Au-delà du choc suscité par ces pratiques carcérales, c’est tout le système canadien d’accueil et d’intégration des migrants qui se trouve soudain sous le feu des critiques. Comment un pays réputé pour son ouverture et son progressisme a-t-il pu laisser se mettre en place une telle « criminalisation » des personnes en quête d’un avenir meilleur ?
Même si le Canada reste une terre d’immigration prisée, attirant chaque année des centaines de milliers de candidats à l’expatriation, le traitement réservé à certains d’entre eux vient ternir cette image. Il met en lumière les dérives potentielles d’une politique migratoire qui, sous couvert de sécurité publique, bafoue les droits humains fondamentaux.
Une prise de conscience semble s’amorcer au sein de la Société civile canadienne. Associations de défense des droits, avocats et simples citoyens appellent le gouvernement à faire toute la lumière sur ces pratiques et à réformer en profondeur le système de détention des migrants. L’enjeu est de taille pour un pays qui a bâti sa réputation sur les valeurs d’accueil et de respect de la diversité.
Alors que le recours collectif lancé par les migrants détenus suit son cours, le Canada se trouve à la croisée des chemins. Soit il saisit cette opportunité pour réaffirmer avec force son attachement aux droits humains et corriger les dérives de son système migratoire.
Soit il laisse la situation perdurer et prend le risque de voir son image durablement écornée sur la scène internationale. L’avenir nous dira quel chemin ce grand pays d’immigration choisira d’emprunter.
Article écrit par : Emilie Dème
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