L’héritage politique d’Ahmed Sékou Touré continue de fracturer la société guinéenne. Symbole de l’indépendance pour certains, il incarne pour d’autres la répression et la dictature. Alors que la Guinée célèbre ses 66 ans d’indépendance, la mémoire de cet homme suscite toujours des débats.
Soixante-six ans après son indépendance, la Guinée peine à se réconcilier avec son passé. L’héritage laissé par Ahmed Sékou Touré, père fondateur de la nation, divise profondément. Certains le vénèrent comme un héros, symbole de la lutte contre le colonialisme.
D’autres le condamnent pour les nombreuses violations des droits humains durant ses 26 ans au pouvoir. Cette fracture dans la mémoire collective ne fait que s’aggraver au fil des ans, alimentée par un manque de travail de mémoire et de réconciliation.
Ahmed Sékou Touré a marqué l’histoire de la Guinée en refusant l’intégration de son pays dans la Communauté française proposée par de Gaulle en 1958. Ce geste a valu à la Guinée d’être le premier pays francophone d’Afrique à accéder à l’indépendance. Pour les partisans de Sékou Touré, cet acte est la preuve de son courage et de sa détermination à libérer la Guinée de la domination coloniale. Ils voient en lui un héros national, un visionnaire qui a su défendre la souveraineté de son pays.
Cependant, cet héritage est loin d’être consensuel. Sékou Touré a rapidement instauré un régime autoritaire, où la répression et la violence étaient monnaie courante. Des milliers de Guinéens ont été arrêtés, torturés ou exécutés sous son règne, notamment dans le tristement célèbre Camp Boiro. Pour les opposants à Sékou Touré, ce sombre chapitre de l’histoire guinéenne est indissociable de son bilan. Ils le considèrent comme un dictateur sanguinaire, responsable de la mort de milliers d’innocents.
Aujourd’hui, cette guerre des mémoires est plus vive que jamais. Chaque camp refuse de céder du terrain, rendant difficile tout débat apaisé sur l’héritage de Sékou Touré. D’un côté, les pros-Sékou continuent de le glorifier, affirmant que la répression était un mal nécessaire pour asseoir l’indépendance du pays. Ils pointent les réalisations économiques et sociales de son régime, comme l’industrialisation et la promotion de l’éducation.
De l’autre côté, les anti-Sékou rappellent sans cesse les horreurs commises sous son règne. Pour eux, aucun développement ne saurait justifier les atrocités subies par des milliers de familles guinéennes. Ce clivage, ancré dans les mémoires, empêche toute tentative de réconciliation nationale. L’absence d’un processus officiel de vérité et de réconciliation en Guinée aggrave encore cette fracture. Contrairement à d’autres pays africains, la Guinée n’a jamais entrepris de véritable introspection sur cette période sombre de son histoire.
Pourtant, il est temps pour la Guinée de dépasser cette guerre des mémoires. La société guinéenne doit faire face à son passé avec lucidité et honnêteté. La réconciliation passe par la reconnaissance des souffrances endurées par les victimes du régime de Sékou Touré, tout en reconnaissant son rôle dans l’accession à l’indépendance. Cela ne peut se faire qu’à travers un dialogue national impliquant toutes les couches de la société pour réconcilier les différentes mémoires.
La mise en place d’une commission de vérité et de réconciliation, à l’instar de ce qui a été fait en Afrique du Sud après l’apartheid, pourrait être une solution. Elle permettrait d’ouvrir un espace de dialogue où chacun pourrait exprimer ses blessures et ses espoirs pour l’avenir. Il est également nécessaire que les autorités guinéennes reconnaissent officiellement les crimes commis sous Sékou Touré tout en rendant hommage aux victimes. Ce processus de reconnaissance est crucial pour apaiser les tensions et permettre au pays de se tourner vers l’avenir.
Pour que la Guinée avance, elle doit construire une mémoire collective partagée. Cela signifie accepter les contradictions de l’histoire et reconnaître la complexité de l’héritage de Sékou Touré. Le héros de l’indépendance et le tyran du Camp Boiro sont deux facettes d’un même homme, d’un même régime. Les Guinéens doivent apprendre à vivre avec cette dualité, à l’accepter comme une part de leur histoire commune.
L’éducation joue un rôle clé dans ce processus. Il est impératif que les manuels scolaires intègrent toutes les dimensions de cette histoire, sans parti pris, pour que les jeunes générations puissent comprendre l’ensemble des enjeux. Les médias et les intellectuels guinéens ont également un rôle à jouer en favorisant des débats apaisés et constructifs sur cette période. Il est temps de dépasser les passions et de se concentrer sur la construction d’une nation unie et réconciliée.
La guerre des mémoires autour de l’héritage de Sékou Touré continue de fracturer la Guinée 66 ans après l’indépendance. Pour sortir de cette impasse, il est crucial d’engager un véritable processus de réconciliation nationale. La reconnaissance des souffrances du passé, la mise en place d’un dialogue inclusif et la construction d’une mémoire collective partagée sont les clés pour dépasser cette division. Il est temps que la Guinée tourne enfin la page de cette guerre des mémoires et se concentre sur l’avenir.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Rahime Pipita
Mise en ligne : 09/10/2024
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