La décision du président de la Transition guinéenne, Mamadi Doumbouya, d’accorder la grâce à Dadis Camara soulève des interrogations profondes et suscite des critiques dans un contexte marqué par des blessures non cicatrisées et des attentes fortes de justice.
Cette décision fait écho à un débat récurrent sur la réconciliation nationale, mais elle est également perçue par beaucoup comme une concession trop rapide, voire une forme de légitimation des crimes passés, au détriment des victimes et de la justice.
Dadis Camara, qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 2008, est responsable de l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire récente de la Guinée. Le massacre du 28 septembre 2009, où plus de 150 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées, est l’un des crimes les plus atroces qu’ait connus le pays sous son régime. L’ex-président a été accusé de violences, de répression systématique, de torture et de meurtres. L’un des pires aspects de ces atrocités est l’ampleur de l’impunité dont ont bénéficié les responsables, au point que nombre de victimes et de leurs familles n’ont jamais vu justice rendue.
En décidant d’accorder la grâce à Dadis Camara, Mamadi Doumbouya semble minimiser l’ampleur de ces crimes et la souffrance des victimes. Certes, la réconciliation nationale est un processus complexe, nécessitant des compromis et une volonté de dépasser les fractures du passé. Mais accorder la grâce à un homme dont les actes ont causé une telle douleur remet en question les principes fondamentaux de justice et d’équité. La promesse d’une transition pacifique ne peut, à mon sens, se faire sur le dos de ceux qui ont été les victimes directes des violations des droits humains.
En outre, cette grâce à Dadis Camara semble paradoxale dans le cadre de la gouvernance actuelle, qui a été portée par un discours de rupture avec les anciennes pratiques et de restauration de l’ordre et de la justice. Le coup d’État de Mamadi Doumbouya en 2021 avait été accueilli par une partie de la population comme un moyen de mettre fin à l’impunité et de rétablir la dignité du peuple guinéen. Or, en pardonnant à un homme directement impliqué dans des crimes graves, le président Doumbouya envoie un signal contradictoire : celui de la tolérance vis-à-vis de ceux qui ont défiguré l’histoire du pays.
La réconciliation ne doit pas signifier l’oubli des victimes ni la négation de leur douleur. Une véritable réconciliation passe par la justice et l’accountability, deux éléments essentiels pour éviter la répétition des mêmes erreurs. En accordant la grâce à Dadis Camara, Mamadi Doumbouya pourrait bien fragiliser ce processus et alimenter un sentiment de méfiance parmi les Guinéens, notamment ceux qui aspirent à un changement véritable, à une transition où la justice serait au cœur de toute reconstruction nationale.
Il est également important de souligner que cette décision ne s’inscrit pas dans un contexte d’amnistie générale, où des mécanismes comme la justice transitionnelle sont mis en place pour offrir une réconciliation fondée sur des réparations et la vérité. La grâce de Daddis Camara semble, à ce jour, être une décision unilatérale, sans processus clair de justice réparatrice, ce qui pourrait à terme exacerber les fractures sociales au lieu de les apaiser.
Enfin, il serait naïf de penser que cette mesure aura l’effet escompté de pacification sociale. Au contraire, elle risque de réveiller de vieilles rancœurs et de nuire à la crédibilité de l’actuel gouvernement. Comment demander aux Guinéens de croire en un avenir meilleur si les responsables des pires crimes de l’histoire récente du pays sont exemptés de toute responsabilité ?
La grâce accordée à Dadis Camara par Mamadi Doumbouya, loin d’être un acte de réconciliation, apparaît comme une concession dangereuse qui met en péril la crédibilité du processus de transition en Guinée. Au lieu d’offrir une véritable réconciliation fondée sur la justice, cette décision semble être une régression, un retour à l’impunité et une violation des attentes légitimes de ceux qui ont souffert sous le régime de Camara.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Thomas Mendy.
Mis en ligne : 06/04/2025
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