À partir du 1er juin 2025, les créateurs de contenus numériques sénégalais verront leurs revenus amputés de 18 %, en application d’une nouvelle taxe imposée par l’État. Officiellement, il s’agit de la mise en œuvre de la TVA numérique, un dispositif fiscal censé rétablir une forme de justice fiscale face aux géants du numérique comme Google. Mais dans les faits, cette taxe frappe avant tout les plus fragiles : les jeunes créateurs, vidéastes, influenceurs et entrepreneurs numériques locaux.
La rhétorique gouvernementale est bien huilée : « Les multinationales doivent contribuer équitablement à l’effort national ». Certes. Mais quand on lit entre les lignes, on se rend compte que cette réforme, au lieu de cibler les multinationales qui drainent des milliards depuis l’étranger, commence par taxer les maigres revenus des jeunes qui, armés d’un téléphone et de beaucoup d’audace, essaient de se faire une place dans l’économie numérique.
Un créateur de contenu qui touche 500 000 F CFA par mois perdra environ 90 000 F CFA d’un coup. Et on voudrait nous faire croire que c’est un progrès fiscal ? Que cela va « structurer » le secteur ? En vérité, c’est une douche froide. Un désincitatif pur et simple à la créativité locale.
On aurait pu imaginer un dispositif progressif, une exonération temporaire pour les petits revenus, une concertation avec les principaux concernés. Mais non. Comme trop souvent au Sénégal, on a préféré la voie rapide : celle des injonctions, sans pédagogie, sans accompagnement sérieux. Résultat ? Beaucoup de jeunes vont tout simplement renoncer. Ou continuer dans l’informel, sans déclarer leurs revenus, accentuant ainsi le paradoxe de cette TVA numérique qui prétend lutter contre… l’informel.
La création de contenu numérique n’est pas un loisir futile, c’est un métier, un levier économique puissant, une forme d’expression contemporaine. YouTube, TikTok, Instagram : ces plateformes sont devenues des scènes culturelles, des espaces d’apprentissage, des moyens d’émancipation économique pour des milliers de jeunes. Leur imposer une taxe brutale, sans préparation, c’est nier la valeur qu’ils créent, c’est leur tourner le dos au moment où ils ont le plus besoin de soutien.
TVA numérique ou taxe punitive ? La question est posée.
Oui, le Sénégal doit mieux capter les richesses générées sur son territoire. Mais pas en sacrifiant ceux qui essaient de créer, de produire, de bâtir quelque chose avec peu de moyens. Il est temps que les décideurs comprennent que l’économie numérique ne se décrète pas depuis un bureau ministériel. Elle se construit en écoutant les acteurs de terrain, en co-construisant des règles du jeu justes, progressives et adaptées à nos réalités.
À défaut, cette réforme, aussi bien intentionnée soit-elle, risque de devenir un frein à l’innovation locale. Une autre barrière pour ceux qui refusent la fatalité du chômage et de l’inaction. Une façon déguisée de dire : créez, mais payez d’abord. Produisez, mais débrouillez-vous seuls.
Et dans ce pays où la débrouille est souvent la seule politique publique qui fonctionne, ce genre de taxe n’est pas une réforme. C’est une résignation.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Hervé Mendy.
Mis en ligne : 10/05/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.