C’est une première dans l’histoire politique récente de la République démocratique du Congo. Jamais un ancien Premier ministre de ce rang n’avait été condamné à une telle peine. L’affaire fait grand bruit à Kinshasa et alimente la Une de la presse nationale comme internationale. Le verdict est tombé : Augustin Matata Ponyo, ancien chef du gouvernement sous Joseph Kabila, a été condamné à dix ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics.
À ses côtés, ses coaccusés – Déogratias Mutombo, ex-gouverneur de la Banque centrale, et Christo Grobler, patron sud-africain de la société Africom – écopent chacun de cinq ans de la même peine. Les trois hommes sont reconnus coupables d’avoir détourné plus de 285 millions de dollars destinés au parc agro-industriel de Bukanga Lonzo.
Absent à l’audience, Matata Ponyo fait désormais l’objet d’un mandat d’arrêt. La Cour constitutionnelle a ordonné son arrestation immédiate ainsi que la confiscation de ses biens, à hauteur des montants détournés.
Ce projet, lancé entre 2013 et 2016, devait incarner la révolution agricole en RDC : modernisation de l’agriculture, sécurité alimentaire, création d’emplois… Un programme ambitieux censé dynamiser l’économie rurale. Mais très vite, le rêve tourne au cauchemar.
Un rapport explosif de l’Inspection générale des finances (IGF), publié en 2020, révèle une série d’irrégularités : mauvaise gestion, surfacturation, absence de contrôle, choix opaques de partenaires, et au final, l’abandon du chantier. Pour l’IGF, la responsabilité principale incombe à Matata Ponyo, alors en poste à la Primature.
Pour l’ancien Premier ministre, la sentence est avant tout politique. Dans une déclaration vidéo en mars dernier, il dénonçait déjà un acharnement judiciaire orchestré selon lui par le pouvoir en place pour l’écarter du jeu politique. Candidat à l’élection présidentielle de 2023 avant de se désister en faveur de Moïse Katumbi, Matata Ponyo reste une figure centrale de l’opposition congolaise.
Cette dimension politique est largement relayée dans les médias congolais. Le site L’Interview CD note que ce verdict intervient dans un contexte déjà tendu, à l’approche d’échéances électorales cruciales. Pour les partisans de Matata, cette condamnation ressemble à une tentative d’éliminer un adversaire gênant.
Au-delà de la personne de Matata Ponyo, ce dossier met en lumière les dysfonctionnements persistants de la gouvernance congolaise. Corruption, clientélisme, absence de reddition des comptes : la débâcle de Bukanga Lonzo illustre, une fois de plus, les obstacles majeurs au développement d’un pays pourtant riche en ressources naturelles.
Pour certains observateurs, cette condamnation marque néanmoins une étape importante dans la lutte contre l’impunité. Mais beaucoup y voient aussi une justice à deux vitesses. Pourquoi, s’interrogent plusieurs analystes, certains proches de l’ancien régime – ou du pouvoir actuel – échappent-ils encore aux poursuites ? Pourquoi cette affaire ressurgit-elle à des moments aussi stratégiques ?
Ce climat de reddition judiciaire n’est pas propre à la RDC. Au Sénégal, l’ancien ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall a été inculpé à son tour pour corruption et détournement de deniers publics présumés. Selon Walf Quotidien, il a été assigné en résidence surveillée, une décision ordonnée par la commission d’instruction de la Haute cour de justice.
Ironie du sort : c’est lui-même, alors garde des Sceaux, qui avait fait introduire le bracelet électronique dans l’arsenal judiciaire sénégalais. Il en porte désormais un à la cheville.
Deux affaires distinctes, mais un même écho : celui d’un tournant judiciaire en Afrique francophone, entre volonté affichée de lutte contre la corruption et soupçons d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
À Kinshasa comme à Dakar, le débat est lancé.
Article écrit par : Mariama Ba
Mis en ligne : 21/05/2025
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