Le feuilleton politico-militaire en République démocratique du Congo prend un tournant spectaculaire. Moins d’une semaine après avoir vertement critiqué son successeur Félix Tshisekedi, l’ancien président Joseph Kabila est apparu à Goma, en plein cœur d’une zone sous contrôle de la rébellion M23/AFC, appuyée par le Rwanda. Un déplacement à forte charge symbolique qui ravive les tensions et alimente les spéculations les plus inquiétantes.
La confirmation de sa présence, rapportée lundi par plusieurs médias congolais, n’a pas tardé à embraser la sphère médiatique. « Joseph Kabila déjà à Goma », titre le site 7 sur 7, rappelant que la ville est aujourd’hui un bastion de l’Alliance du Fleuve Congo/M23. Des proches de l’ex-président évoquent un geste de fidélité à une promesse faite à la nation. Côté rébellion, l’accueil a des airs de reconnaissance tacite : les dirigeants de l’AFC/M23 lui souhaitent un « agréable séjour dans les zones libérées ».
Mais à Kinshasa comme ailleurs, le geste passe mal. Pour Le Maximum, pas de doute : Kabila a franchi une ligne rouge. « Il a regagné le pays par la ville de Goma, après une escale à Kigali. Une transgression irréversible, délibérée et hasardeuse », s’indigne le média. Le site souligne que cette visite conforte les accusations récentes portées par Tshisekedi, qui soupçonne son prédécesseur d’être le véritable commanditaire du mouvement rebelle.
Dans l’opinion publique congolaise, le malaise est palpable. Kabila est désormais vu, par une frange de la population, comme un supplétif de l’armée rwandaise. Sur les réseaux sociaux, les commentaires se multiplient : certains y voient une tentative de relance des hostilités, d’autres un pas vers un retour au pouvoir par des voies détournées. Un retour que l’ex-chef d’État regretterait amèrement d’avoir abandonné fin 2018.
L’émoi dépasse les frontières congolaises. Dans la presse ouest-africaine, l’analyse est sans appel. « Un voyage qui vaut déclaration de guerre », titre L’Observateur Paalga à Ouagadougou. Le journal burkinabé estime que Kinshasa ne peut désormais plus traiter Kabila autrement que comme un ennemi de la République.
Même tonalité dans Aujourd’hui : « Le pouvoir, y compris par la guerre ! » Le quotidien dresse un portrait sévère d’un ancien président « aux mains rouges de ses 18 ans de règne » qui, loin de chercher la paix, attise les flammes du conflit pour revenir au centre du jeu. « Un Néron tropical », conclut-il, acerbe.
Pour Le Monde Afrique, cette visite saborde ce qu’il restait d’espoir d’une solution politique. « La présence de Kabila à Goma augure mal de la tenue d’un large dialogue pour régler le conflit », analyse le quotidien français. Le président Tshisekedi, qui appelait récemment à l’unité nationale, semble désormais sans appui politique solide à l’intérieur… ni à l’extérieur.
Les tentatives de médiation — de Luanda à Doha en passant par Washington — ont montré leurs limites. « Plus de confusion que de résultats », confie un diplomate européen, désabusé. La rencontre surprise entre Tshisekedi et Kagame à Doha, censée raviver un espoir, n’a rien produit de concret.
Face à l’impasse diplomatique, Kinshasa se retrouve dos au mur. Reste l’option militaire. Mais est-elle seulement viable ? Le Monde Afrique en doute : les FARDC, affaiblies et démoralisées, peinent à reprendre pied dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Et pourtant, note un diplomate occidental, « malgré ses échecs militaires cuisants, Félix Tshisekedi semble toujours parier sur une solution de force ».
Dans cette partie d’échecs sanglante qui se joue à l’est du Congo, les prochains mouvements de Joseph Kabila pourraient décider du sort d’une région déjà meurtrie par des décennies de violences. Entre ambitions personnelles, calculs géopolitiques et rivalités régionales, le risque d’une conflagration majeure n’a jamais été aussi réel.
Article écrit par : Amadou Diop
Mis en ligne : 27/05/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.