Le 9 juin 2025, 49 travailleurs sénégalais 20 femmes et 29 hommes ont quitté Dakar pour l’Espagne, dans le cadre du programme de migration circulaire mis en place entre les deux pays. Cette initiative, présentée comme une alternative légale et encadrée à la migration irrégulière, prévoit plusieurs autres départs au cours du mois. Ce programme, sous couvert d’opportunités économiques, pourrait bien n’être qu’un mécanisme moderne d’exploitation des travailleurs sénégalais.
La migration circulaire apparaît comme une solution « gagnant-gagnant ». D’un côté, les jeunes Sénégalais espèrent un emploi et une meilleure vie. De l’autre, l’Espagne peut répondre à ses besoins en main-d’œuvre dans les secteurs souvent délaissés par sa population locale, notamment l’agriculture saisonnière.
Le processus est présenté comme régulier, encadré et temporaire. Mais ces termes rassurants masquent une réalité souvent plus brutale. Il ne suffit pas qu’un départ soit organisé pour qu’il soit équitable. Qu’en est-il des conditions de travail une fois en Espagne ? Quelles garanties pour ces travailleurs une fois sur place ? Quelles protections face aux abus ?
Les migrants recrutés dans le cadre de ce programme sont souvent affectés à des emplois agricoles, saisonniers, mal rémunérés et physiquement éprouvants. Ces postes ne nécessitent que peu de qualifications et n’offrent que très rarement des perspectives d’évolution. La durée limitée des contrats empêche toute stabilité, toute intégration durable et limite drastiquement les droits sociaux (accès à la sécurité sociale, protection contre les licenciements abusifs, retraite…).
Pire encore, certains témoignages issus d’initiatives similaires ailleurs en Europe dénoncent des conditions proches de l’exploitation : logements insalubres, salaires inférieurs aux minimums légaux, journées de travail interminables, absence de recours en cas de litige. Le caractère temporaire rend les travailleurs particulièrement vulnérables.
Des programmes analogues en Italie ou en France ont montré leurs limites. En 2021, des travailleurs marocains recrutés pour la cueillette des fraises en Espagne avaient dénoncé des conditions de vie indignes et des traitements discriminatoires. Le parallèle avec la situation actuelle des Sénégalais est troublant.
L’emballage diplomatique de cette migration « légale » sert davantage les intérêts économiques européens que les ambitions sociales africaines. Loin d’offrir une réelle alternative à la précarité, ce programme ressemble à une version modernisée des rapports de dépendance Nord-Sud. Le Sénégal devient une réserve de main-d’œuvre bon marché, sans aucune assurance d’un transfert de compétences ou d’un réel développement local en retour.
Sous des dehors séduisants, le programme de migration circulaire risque de prolonger l’exploitation des travailleurs africains sous une forme institutionnalisée. Il ne s’agit pas de nier l’urgence pour beaucoup de jeunes Sénégalais de trouver du travail, mais de refuser qu’ils le fassent dans des conditions aussi précaires et déséquilibrées.
Le gouvernement sénégalais doit reconsidérer sa participation à de tels accords, tant que les droits fondamentaux des travailleurs ne sont pas pleinement garantis. Une politique de développement endogène, centrée sur l’emploi local, la formation et la dignité, doit être privilégiée. La migration ne doit jamais être un marché de la misère.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Paul Diatta.
Mis en ligne : 11/06/2025
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