Le Kenya a vécu une journée d’une rare intensité, marquée par une flambée de violence et un lourd bilan humain. Neuf personnes ont perdu la vie et plus de 400 ont été blessées lors des manifestations qui ont secoué 27 comtés du pays, selon le quotidien Daily Nation, qui titre ce matin : « Mercredi noir : 9 morts et 400 blessés ». Une journée de défiance, de chaos, et de chagrin.
À l’origine, une commémoration. Un an jour pour jour après la grande révolte de 2024, durant laquelle des manifestants avaient envahi le Parlement pour dénoncer une loi de finances impopulaire, la jeunesse kényane est redescendue dans la rue.
L’objectif initial était d’honorer la mémoire des victimes tombées lors de cette contestation qui avait fait une soixantaine de morts et laissé des dizaines de disparus. Mais très vite, les rassemblements pacifiques ont cédé la place à la colère et aux affrontements.
« Les jeunes sont venus commémorer leurs héros. Ils ont été accueillis par la violence », déplore The Standard, autre grand quotidien kényan. Pour ce journal, la réponse des autorités est le symptôme d’une sourde oreille face à des revendications légitimes. « La solution ne réside pas dans la criminalisation des manifestations, mais dans une écoute sincère de leurs messages », insiste-t-il.
Le Kenya est l’un des pays les plus jeunes du continent : 75 % de la population a moins de 35 ans. Pourtant, ce dynamisme démographique ne semble pas trouver d’écho dans les politiques publiques. L’emploi reste un mirage pour nombre de diplômés, la vie quotidienne est alourdie par l’augmentation continue du coût de la vie, et la corruption gangrène les institutions.
La colère exprimée hier est donc le fruit d’un long désenchantement. Le Monde Afrique rapporte que dans les cortèges, les slogans allaient bien au-delà de la mémoire des victimes : « Ruto must go » (« Ruto doit partir ») scandait une foule déterminée, en référence au président William Ruto, élu en 2022 sur des promesses d’inclusion et d’opportunités économiques pour les jeunes. Deux ans plus tard, ces promesses restent lettre morte aux yeux de nombreux manifestants, qui dénoncent désormais un pouvoir autoritaire, sourd à leurs attentes.
La réponse des autorités a été brutale. À Nairobi comme dans d’autres régions du pays, les forces de l’ordre ont dispersé les foules à coups de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc – parfois réelles – et de bastonnades. Le Daily Nation s’indigne : « Les manifestations doivent être pacifiques, certes, mais la police ne peut répondre par une violence systématique contre des citoyens qui exercent leur droit constitutionnel. »
Les ONG de défense des droits humains dénoncent également la censure gouvernementale. Le pouvoir a interdit la diffusion en direct des événements à la télévision et à la radio, dans ce qui est perçu comme une atteinte flagrante à la liberté de la presse. « Le droit à l’information est fondamental. L’interdire, c’est museler la démocratie elle-même », dénonce encore le Daily Nation.
De son côté, le site Afrik.com note que cette journée noire illustre l’amertume d’une jeunesse frustrée : diplômée mais désœuvrée, patriote mais désabusée. « Ruto ne convainc plus. Même les promesses récentes de ne pas alourdir les impôts en 2025 sont vues comme un simple écran de fumée. Les vraies causes du mal-être – chômage, impunité, brutalité policière – restent entières. »
Dans un pays où la jeunesse représente l’avenir, l’actuelle fracture politique et sociale apparaît comme une menace sérieuse à la stabilité démocratique. Les appels au dialogue se multiplient, mais sans geste fort de la présidence, la rue pourrait bien redevenir, très vite, le théâtre d’une nouvelle explosion.
La balle est désormais dans le camp de William Ruto. Saura-t-il entendre cette clameur populaire avant qu’elle ne dégénère davantage ? Le Kenya retient son souffle.
Article écrit par : Amadou Diop
Mis en ligne : 26/06/2025
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