Dans une récente déclaration en visioconférence, Bassolma Bazié, président de la Commission nationale burkinabè de la Confédération des États du Sahel (AES), a annoncé la volonté du Mali, du Burkina Faso et du Niger d’abandonner le franc CFA, qualifié de « monnaie coloniale ». Cette décision, présentée comme un acte fondateur de l’autonomie économique de la Confédération, s’inscrit dans une dynamique de rupture avec l’héritage français en Afrique de l’Ouest.
Si cette ambition peut sembler audacieuse, voire légitime à première vue, elle soulève de sérieuses interrogations. Quitter le franc CFA ne garantit nullement une souveraineté économique réelle, et pourrait même fragiliser davantage des économies déjà en crise.
L’initiative intervient dans un climat régional tendu, où les trois pays sahéliens, dirigés par des régimes militaires, s’éloignent progressivement des institutions régionales traditionnelles comme la CEDEAO, et renforcent leur coopération dans le cadre de l’AES. Leur volonté de créer une monnaie unique s’inscrit dans une logique de rupture politique, mais elle survient dans un environnement économique extrêmement précaire : inflation, insécurité alimentaire, déficit budgétaire, dépendance aux aides internationales.
La rupture entre l’AES et le franc CFA peut certes paraître courageuse, voire symboliquement forte. Mais au-delà du geste, il convient d’examiner les réalités concrètes. La création d’une nouvelle monnaie exige des conditions strictes : une stabilité macroéconomique avérée, une crédibilité institutionnelle solide, une politique monétaire rigoureuse, ainsi que des réserves de change suffisantes pour soutenir la nouvelle devise. Or, à ce jour, aucun des trois pays membres de l’AES ne remplit pleinement ces critères. Cette rupture, si elle est précipitée, risque donc d’aggraver des fragilités économiques déjà préoccupantes.
L’exemple de la Guinée ou du Zimbabwe montre bien les dangers d’une transition monétaire mal préparée : hyperinflation, perte de confiance des investisseurs, et chute du pouvoir d’achat. L’histoire économique regorge d’exemples où une nouvelle monnaie, censée symboliser la libération, a fini par devenir un fardeau supplémentaire pour les populations.
Quitter le franc CFA ne signifie pas couper le cordon avec les anciennes puissances coloniales. Le commerce extérieur de ces pays reste majoritairement orienté vers l’Europe, en particulier la France. Leurs systèmes d’aide, d’investissement, et de soutien budgétaire sont toujours largement assurés par des partenaires occidentaux. Une nouvelle monnaie ne changera rien à cette réalité. Sans diversification économique, sans tissu industriel fort, et sans gouvernance fiable, ces pays continueront de dépendre de l’extérieur, que leur monnaie soit le franc CFA ou une autre.
Alors que les défis sécuritaires et humanitaires s’aggravent au Sahel, s’éloigner du cadre régional de la CEDEAO et des appuis financiers internationaux peut accentuer l’isolement de ces pays. Une monnaie isolée, sans reconnaissance régionale ou internationale, risque d’être difficilement convertible et peu fiable, affectant directement les échanges commerciaux, les investissements et la confiance des citoyens.
L’aspiration à la souveraineté monétaire est compréhensible, mais dans les conditions actuelles, elle relève davantage du discours idéologique que d’un projet économiquement viable. La priorité devrait être la stabilité politique, le renforcement des institutions économiques, la lutte contre la corruption et la relance productive. Ce n’est qu’ensuite qu’une réflexion sérieuse sur une autonomie monétaire pourrait être envisagée.
L’abandon du franc CFA par les pays de l’AES, dans leur état actuel, n’est pas une avancée vers la souveraineté mais un saut dans l’inconnu. La véritable indépendance économique ne s’obtient pas en changeant de monnaie, mais en construisant des bases solides, inclusives et durables. C’est à ce prix, et à ce prix seulement, que l’Afrique pourra un jour s’émanciper pleinement.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Massata Sylla.
Mis en ligne : 10/07/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.