Expulsés après une vie de service : L’État tourne le dos à ses anciens - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Société | Par Eva | Publié le 27/08/2025 03:08:30

Expulsés après une vie de service : L’État tourne le dos à ses anciens

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La Société de Gestion du Patrimoine Bâti de l’État (SOGEPA) vient de notifier à 53 familles de la cité Fayçal, près de Dakar, la résiliation de leurs baux et l’obligation de quitter leurs villas d’ici quelques mois. Ces résidents, pour la plupart d’anciens hauts fonctionnaires aujourd’hui retraités, occupent ces logements depuis plus de trente ans.

Si la SOGEPA invoque des irrégularités juridiques et la nécessité de récupérer ces biens pour l’État, cette décision soulève une question fondamentale : un État peut-il traiter ainsi ceux qui ont consacré leur vie à son service, sans leur offrir aucune solution de relogement ni considération pour leur vulnérabilité ? Cette opération, menée sans empathie ni préparation, est une injustice sociale et un manque de reconnaissance intolérable envers des citoyens âgés, souvent sans ressources suffisantes pour se loger ailleurs.

Ces villas, situées à proximité du lac Dekh Meew, ont été attribuées à des fonctionnaires en activité, souvent comme compensation partielle pour des décennies de service public. Beaucoup de ces occupants sont aujourd’hui retraités, certains ont perdu leur conjoint, et plusieurs vivent avec des pensions modestes, dans un pays où le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Pour eux, ces logements ne sont pas de simples résidences, mais le dernier rempart contre la précarité, le dernier lien avec une carrière entière passée au service de la nation.

Pourtant, l’État, par la voix de la SOGEPA, a décidé de résilier leurs baux, arguant que les contrats signés en 2017 et 2018 ne respectaient pas les règles des baux emphytéotiques. Pire, certains occupants sont décédés, laissant des veuves ou des héritiers sans solution, tandis que d’autres, trop âgés pour se reloger facilement, se retrouvent menacés d’expulsion sans alternative crédible. La Cour suprême a temporairement suspendu les expulsions, reconnaissant ainsi la légitimité des recours des résidents. Mais cette suspension ne résout rien : elle ne fait que reporter l’échéance, sans garantir une issue juste.

L’argument de la SOGEPA repose sur la régularisation du patrimoine de l’État et la lutte contre les occupations irrégulières. Pourtant, comment expliquer que ces baux aient été signés, puis prolongés, sans contrôle pendant des années ? Pourquoi cibler aujourd’hui des retraités, alors que d’autres détenteurs de biens publics, parfois dans des situations bien moins légitimes, ne sont pas inquiétés ? Surtout, cette opération ignore délibérément la situation des personnes âgées. Dans de nombreux pays, la loi protège les locataires de plus de 65 ans contre les expulsions sans relogement adapté.

Au Sénégal, aucune disposition similaire n’existe pour ces anciens serviteurs de l’État. Pourtant, le droit au logement décent est un principe universel, et le manque de protection pour les seniors est une faille criante de notre système. Les résidents de la cité Fayçal ne demandent pas la charité : ils réclament simplement que l’État assume ses responsabilités. Après des vies de sacrifice, ils méritent mieux qu’un congé sans accompagnement, sans proposition de logement alternatif, et sans considération pour leur âge ou leur précarité économique.

Beaucoup de ces retraités n’ont pas les moyens de se loger ailleurs. À Dakar, les loyers sont parmi les plus élevés d’Afrique de l’Ouest, et les pensions de retraite ne permettent pas de faire face à ces coûts. Où iront-ils ? Dans des logements insalubres, chez des proches déjà à l’étroit, ou dans la rue ? L’État, qui se targue de protéger les plus vulnérables, les condamne ici à l’incertitude et à la précarité. Ces villas symbolisent une promesse implicite : celle d’un État reconnaissant envers ceux qui l’ont servi. Les en chasser, c’est renier cette promesse et envoyer un message glaçant aux générations futures : « Servez l’État, mais ne comptez pas sur lui quand vous serez vieux. »

Pourquoi la SOGEPA ne propose-t-elle pas de solutions intermédiaires, comme des baux sociaux, des rachats à prix symbolique, ou des relogements dans des logements adaptés ? D’autres pays africains ont su trouver des compromis pour régulariser des situations similaires, en convertissant des parcelles publiques en propriétés accessibles ou en offrant des solutions de logement social. Au Sénégal, on préfère la manière forte. Si l’État peut expulser des retraités sans leur offrir de solution, qui sera protégé demain ? Cette décision crée un climat d’insécurité pour tous les occupants de logements publics, qu’ils soient fonctionnaires, enseignants ou agents de santé.

La récupération des biens publics est légitime, mais elle ne peut se faire au mépris des droits humains et de la dignité des personnes âgées. La SOGEPA et le gouvernement doivent immédiatement suspendre définitivement les expulsions tant qu’aucune solution de relogement n’est proposée, engager un dialogue avec les résidents pour trouver des alternatives justes, et instaurer une protection légale pour les locataires âgés afin qu’aucun senior ne se retrouve à la rue après une vie de service.

La récupération des biens publics par l’État peut se faire de manière humaine et responsable, comme l’illustrent plusieurs pays africains et européens. En Tunisie, par exemple, des logements publics anciennement attribués à des fonctionnaires ont été régularisés par des rachats à prix symbolique ou convertis en baux sociaux adaptés aux retraités. Cela permet de protéger les occupants tout en sécurisant le patrimoine de l’État. De même, en France et dans plusieurs pays européens, la loi interdit l’expulsion des locataires âgés sans proposition de relogement adapté, même lorsque le bail présente des irrégularités. Ces mesures visent à concilier la rigueur administrative avec la protection des personnes vulnérables et la reconnaissance de leur contribution à la société.

Ces villas ne sont pas que des biens immobiliers : ce sont des foyers, des mémoires, des vies. Les en chasser sans pitié, c’est trahir l’esprit même du service public. L’État sénégalais doit montrer qu’il est capable de concilier rigueur administrative et solidarité. Sinon, il perdra bien plus qu’un patrimoine immobilier : il perdra la confiance de ceux qui l’ont construit.

Il faut que les autorités sénégalaises entendent l’appel de ces retraités et agissent avec humanité. La cité Fayçal doit devenir le symbole d’une gestion publique juste et respectueuse, pas celui d’un État indifférent au sort de ses anciens serviteurs. La balle est dans leur camp.

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Salimata Baldé.
Mis en ligne : 27/08/2025

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