Rebeuss, nouveau terrain de campagne : Décryptage d’une stratégie usée - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Politique | Par Eva | Publié le 27/08/2025 12:08:00

Rebeuss, nouveau terrain de campagne : Décryptage d’une stratégie usée

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Ce lundi, le député Papa Djibril Fall s’est rendu à la prison de Rebeuss pour rencontrer Badara Gadiaga et d’autres détenus, qu’il qualifie de « politiques » et de « victimes de séquestration par le régime Sonko-Diomaye ». Il a réaffirmé, « avec dignité et honneur », son soutien à ces « otages », dénonçant une « volonté manifeste d’étouffer les voix discordantes » et exigeant leur libération sans condition.

Si la défense des droits humains et la solidarité envers les détenus sont louables, cette visite et les déclarations qui l’accompagnent soulèvent une question troublante : ne s’agit-il pas, avant tout, d’un exercice de communication politique, transformant les établissements pénitentiaires en tribunes électorales ? Derrière les grands mots et les poses héroïques, où sont les propositions concrètes pour améliorer la justice ou les conditions de détention ? Et jusqu’où peut-on aller dans l’instrumentalisation de la souffrance des détenus à des fins partisanes ?

Au Sénégal, la prison a souvent été un lieu où se jouent des parties d’échecs politiques. Des figures comme Abdoulaye Wade, Karim Wade, Khalifa Sall ou Ousmane Sonko ont, à un moment ou un autre, été incarcérées, et certaines en sont sorties renforcées politiquement. Aujourd’hui, Badara Gadiaga et Abdou Nguer, chroniqueurs et activistes connus pour leurs critiques acerbes envers le pouvoir, sont présentés par l’opposition comme des martyrs de la liberté d’expression. Leurs arrestations, dans un contexte de tensions politiques récurrentes depuis 2021, ont effectivement suscité des interrogations sur l’indépendance de la justice et le respect des droits fondamentaux. Cependant, la systématique qualification de « détenus politiques » et les appels à leur libération inconditionnelle méritent un examen critique, tant ils semblent servir une stratégie de mobilisation plus qu’une véritable réflexion sur l’État de droit.

La visite de Papa Djibril Fall s’inscrit dans une logique bien rodée : dénoncer des « injustices » depuis l’extérieur, sans avoir à gérer les complexités du pouvoir. En qualifiant les détenus de « victimes » et le régime d’« incompétent », le député joue sur la fibre émotionnelle et la polarisation, mais évite soigneusement de proposer des solutions structurelles. Où sont ses initiatives pour réformer la justice, améliorer les conditions carcérales, ou garantir un procès équitable pour tous ? Rien. Seule compte la posture, le spectacle médiatique, et l’accusation facile.

Pourtant, les dossiers judiciaires de Badara Gadiaga et Abdou Nguer sont loin d’être anodins. Gadiaga, par exemple, est poursuivi pour « diffusion de fausses nouvelles », « discours immoral » et « insultes à l’égard des autorités », des chefs d’accusation qui, qu’on les juge fondés ou non, relèvent du débat judiciaire, non d’une condamnation politique a priori. Nguer, quant à lui, a été condamné pour des propos jugés diffamatoires et violents, notamment envers des militants du parti au pouvoir. Leurs avocats et soutiens dénoncent une justice aux ordres, mais où sont les preuves d’une manipulation systématique ? Les procédures suivent leur cours, avec des recours possibles, comme dans toute démocratie.

Le vrai problème n’est pas l’existence de ces poursuites, mais l’absence de dialogue sur les réformes nécessaires : surpeuplement carcéral, lenteur de la justice, conditions de détention indignes. Amnesty International et d’autres organisations ont régulièrement alerté sur ces questions, sans que l’opposition ne s’en empare vraiment, préférant brandir le drapeau de la persécution.

Le manque de propositions concrètes, Fall et ses pairs critiquent, mais que proposent-ils ? Aucune loi, aucun projet de réforme, aucune initiative parlementaire pour renforcer l’indépendance de la justice ou améliorer le sort des détenus. Leur combat se limite à des déclarations tonitruantes et à des visites médiatisées, comme si la prison était un décor de campagne.

Le cynisme politique, utiliser la souffrance des détenus pour marquer des points est moralement discutable, surtout quand on ne s’engage pas sur le long terme. Où étaient ces mêmes politiques quand des détenus de droit commun croupissaient dans les mêmes conditions ? Pourquoi ne s’indignent-ils que lorsque les détenus sont des leurs ?

La banalisation du discours victimiste, en criant au complot à chaque arrestation, l’opposition risque de minimiser les vraies atteintes aux libertés. Quand tout devient « politique », plus rien ne l’est vraiment. Cette rhétorique, répétée à l’envi, finit par lasser les citoyens et discréditer les vraies causes.

Dans d’autres démocraties africaines, comme en Tunisie ou au Bénin, l’opposition a su allier dénonciation des abus et propositions de réformes. Au Sénégal, on se contente trop souvent de la première partie, comme si le simple fait de crier à l’injustice suffisait à faire avancer les choses.

La visite de Papa Djibril Fall à Rebeuss est révélatrice d’une opposition sénégalaise en mal de projet. Plutôt que de transformer les prisons en tribunes, elle ferait mieux de travailler à des réformes concrètes : accélérer les procédures judiciaires, améliorer les conditions de détention, garantir l’indépendance des juges. La démocratie ne se construit pas sur des coups d’éclat, mais sur des actions responsables et des débats de fond.

Les Sénégalais, « épris de paix et de justice » comme le rappelle Fall, méritent mieux que des jeux de rôle où chacun joue sa partition. Ils attendent des solutions, pas des spectacles. La prison ne doit pas devenir un théâtre politique, mais un lieu où la justice s’exerce, dans le respect des droits de tous. À quand un vrai débat sur ces enjeux, au-delà des postures ?

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Samba Diop.
Mis en ligne : 27/08/2025

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