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L’actualité judiciaire sénégalaise est marquée par une nouvelle étape dans l’affaire François Mancabou : un quatrième policier a été entendu par le juge du second cabinet, dans le cadre d’une instruction qui s’étire depuis 2022. Officiellement, chaque audition est présentée comme cruciale pour éclairer les circonstances de la mort de Mancabou, survenue en garde à vue après une interpellation dans un contexte politique tendu. Pourtant, derrière cette apparente rigueur procédurale, se pose une question lancinante : comment croire en l’impartialité d’une enquête où les principaux mis en cause sont aussi ceux qui, directement ou indirectement, contrôlent les investigations ?
L’affaire Mancabou, comme tant d’autres avant elle, révèle les limites structurelles d’un système où la police est à la fois juge et partie. Les enquêtes internes sur les violences policières, loin d’être un gage de transparence, sont trop souvent le théâtre de conflits d’intérêts, de lenteurs inexplicables et d’une impunité persistante.
François Mancabou est décédé en juillet 2022, peu après son arrestation dans le cadre des manifestations de l’opposition. Les autorités ont d’abord évoqué un suicide, version immédiatement contestée par ses proches et son avocat, qui parlent de torture. L’autopsie a révélé une fracture du rachis cervical, cause directe de sa mort, et des témoignages récents, notamment celui d’un compagnon de cellule, ont relancé le dossier en apportant des éléments troublants sur les conditions de sa détention. Pourtant, malgré l’ouverture d’une information judiciaire et la multiplication des auditions, le doute persiste : la vérité sera-t-elle établie, ou l’enquête se contentera-t-elle de valider la version officielle ?
L’instruction repose en grande partie sur les travaux de la Division des investigations criminelles (DIC), une unité interne à la police. Or, cette pratique soulève un problème majeur : comment garantir l’indépendance d’une enquête menée par des collègues des policiers mis en cause ? La vidéo versée au dossier, censée prouver que Mancabou se serait blessé lui-même, est-elle suffisante pour clore le débat, alors que ses proches dénoncent des pressions et des violences ?
En France comme au Sénégal, les enquêtes sur les violences policières sont majoritairement confiées à des services internes, comme l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) ou la DIC. Pourtant, les critiques sont unanimes : ces dispositifs manquent cruellement d’indépendance et d’impartialité. Transparency International France alerte régulièrement sur le risque que ces enquêtes servent davantage à protéger l’institution qu’à établir la vérité. La Défenseure des droits, Claire Hédon, a d’ailleurs rappelé en 2025 que « l’enquête interne menée par des avocats ou des services internes est souvent perçue comme un acte de défense des intérêts de l’institution, plutôt que comme une recherche objective des faits ».
Dans l’affaire Mancabou, le juge s’appuie sur des éléments recueillis par la DIC, dont les conclusions ont déjà été contestées par les familles et les ONG. Comment, dans ces conditions, éviter que l’enquête ne soit orientée pour minimiser les responsabilités des forces de l’ordre ? La présence d’un témoin extérieur, récemment entendu, est une avancée, mais elle ne suffit pas à effacer le doute sur la partialité globale du processus.
Les policiers audités dans le cadre de l’affaire Mancabou continuent d’exercer normalement, sans suspension ni mesure conservatoire. Cette situation, fréquente dans les dossiers de violences policières, envoie un signal désastreux : l’institution se protège avant de protéger les victimes. En France, l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) a montré que dans plus de 90 % des cas de violences policières étudiés, les agents mis en cause n’ont pas été condamnés. Au Sénégal, le manque de sanctions effectives et la lenteur de la justice renforcent l’impression d’une impunité systémique.
Depuis des années, associations et experts réclament la création d’un organisme indépendant chargé d’enquêter sur les dérives policières. Pourtant, malgré les promesses, aucune avancée concrète n’a vu le jour. L’affaire Mancabou aurait pu être l’occasion de tester un tel mécanisme, mais le juge a préféré s’en tenir aux procédures classiques, malgré les risques évidents de conflit d’intérêts.
Dans des pays comme le Canada ou le Royaume-Uni, des organismes indépendants, dotés de pouvoirs coercitifs, sont chargés d’enquêter sur les plaintes contre la police. Résultat : un taux de condamnation plus élevé et une confiance retrouvée dans les institutions. Au Sénégal, comme en France, l’absence d’une telle structure permet aux dysfonctionnements de perdurer.
L’affaire François Mancabou est un test pour la justice sénégalaise. Si les auditions se multiplient sans aboutir à des sanctions claires, si les enquêtes restent internes et opaques, le message envoyé sera sans équivoque : la vie des citoyens compte moins que la réputation de la police. Pour restaurer la confiance, il est urgent de créer un organisme indépendant, de suspendre les policiers mis en cause le temps des investigations, et de garantir la transparence des procédures.
La mort de Mancabou ne doit pas rester un dossier de plus classé sans suite. Elle doit marquer le début d’une réforme profonde, où la justice ose enfin regarder en face les dérives de ceux qui sont censés la servir. Sinon, comment croire que l’État est capable de se juger lui-même ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Tidiane Niang.
Mis en ligne : 31/08/2025
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