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Un récent entretien accordé à L’Observateur par l’économiste Ibnou Sougoufara éclaire les premiers chiffres de l’exploitation pétrolière au Sénégal : sur 1 536 milliards de francs CFA générés, seuls 67 milliards, soit 4,3 %, ont été reversés à l’État. Si l’expert explique cette situation par la phase embryonnaire du projet et la nécessité pour les compagnies de récupérer leurs investissements, une analyse plus critique révèle un déséquilibre structurel en faveur des multinationales, au détriment de l’intérêt national.
Ce constat appelle à une remise en question urgente des mécanismes en place, afin que les ressources du pays profitent avant tout aux Sénégalais.
Le Sénégal est devenu producteur de pétrole en 2024, avec le champ de Sangomar opéré majoritairement par la compagnie australienne Woodside. Les revenus actuels, bien que modestes, laissent entrevoir un potentiel économique considérable. Pourtant, la part dérisoire revenant à l’État interroge : comment un pays peut-il tirer si peu de bénéfices de ses propres ressources ?
La comparaison avec d’autres nations productrices est édifiante. En Norvège, par exemple, les hydrocarbures représentent jusqu’à 33 % du PIB et 64 % des exportations, avec une taxe élevée sur les compagnies pétrolières, alimentant un fonds souverain qui bénéficie à chaque citoyen. En Angola, malgré des défis persistants, l’État capte une part bien plus substantielle des revenus pétroliers dès le départ. À l’inverse, le Sénégal semble reproduire le schéma de nombreux pays africains, où les richesses naturelles profitent d’abord aux investisseurs étrangers.
Le système du « cost oil », qui permet aux compagnies de récupérer leurs coûts d’exploration avant que l’État ne touche sa part, est présenté comme une nécessité économique. Pourtant, il perpétue une dépendance préjudiciable : les risques financiers sont supportés par les multinationales, mais les risques sociaux et environnementaux, pollution, déplacements de populations, menace sur la pêche, pèsent sur le Sénégal. Quand les forages échouent, les compagnies perdent leur mise ; quand ils réussissent, c’est le peuple sénégalais qui perd le contrôle de ses ressources et de sa souveraineté énergétique.
La création d’une agence nationale d’information énergétique, évoquée par Sougoufara, est une piste, mais elle arrive tardivement, alors que les contrats sont déjà signés et que les premières cargaisons de pétrole sont exportées. Pire, l’État sénégalais semble renoncer à renégocier les termes des accords, de peur de décourager les investisseurs. Cette prudence excessive contraste avec les stratégies plus offensives d’autres pays.
La Bolivie et le Venezuela ont choisi de nationaliser une partie de leurs ressources pétrolières, redonnant à l’État un rôle central dans la gestion de la rente et le financement de programmes sociaux. Si ces exemples comportent leurs propres défis, ils montrent qu’il existe des alternatives à la soumission aux règles dictées par les majors du secteur.
Une part dérisoire pour l’État : 4,3 % des revenus, contre 27 % dans certains pays producteurs ou des dizaines de milliards de dollars annuels pour d’autres États avant leur crise. Les compagnies assument le risque financier, mais les coûts sociaux et environnementaux (pollution, perte de moyens de subsistance pour les pêcheurs) sont supportés par les populations locales.
Les chiffres bruts publiés peuvent être trompeurs, et l’absence d’une instance indépendante pour les analyser et les expliquer renforce la méfiance. Avec une croissance économique prévue à 7,3 % grâce au pétrole, le Sénégal pourrait investir massivement dans l’éducation, la santé ou les énergies renouvelables. Pourtant, sans garde-fous, ces revenus risquent d’être dilapidés ou captés par une minorité, comme ce fut le cas dans d’autres pays africains.
Le Sénégal ne peut se contenter d’être un simple fournisseur de matières premières. Il doit exiger une part plus juste des revenus pétroliers, renforcer la transparence et investir dans des secteurs créateurs d’emplois locaux et durables. La création d’un fonds souverain et une renégociation des contrats pour augmenter la part de l’État sont des étapes indispensables. Les exemples de certains pays montrent que la nationalisation partielle des actifs peut être un levier de développement, à condition d’être bien gérée.
L’exploitation pétrolière doit être une opportunité pour le Sénégal, pas une malédiction. Il est encore temps d’agir pour que les générations futures bénéficient pleinement de cette manne, et non pas seulement les actionnaires des compagnies étrangères. L’heure n’est plus à la prudence, mais à l’audace. Le pays a le droit et le devoir de reprendre le contrôle de son destin énergétique.
Il faut que les autorités sénégalaises renégocient les contrats pour augmenter la part de l’État dans les revenus pétroliers, créent sans délai une agence indépendante pour auditer et publier les données du secteur, investissent les revenus pétroliers dans des projets structurants plutôt que dans des dépenses improvisées, et protègent les communautés locales en appliquant strictement les normes environnementales et en compensant les pertes subies par les pêcheurs et les populations côtières.
Le pétrole sénégalais doit servir les Sénégalais. C’est une question de justice, de souveraineté et de développement durable.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Saliou Mbaye.
Mis en ligne : 05/09/2025
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