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Le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment présenté le projet ambitieux « Dakar Métropole Internationale 2050 », promettant une refondation urbaine, écologique et organisée de la capitale sénégalaise. Les intentions sont nobles : mettre fin à l’urbanisation « sauvage », requalifier les quartiers, promouvoir des transports propres et végétaliser la ville. Pourtant, malgré la volonté politique affichée, un obstacle majeur persiste : les Sénégalais eux-mêmes, dont les habitudes et résistances risquent de compromettre la réussite de ce plan.
En effet, comment transformer une ville quand ses habitants perpétuent les pratiques anarchiques qui ont conduit à la situation actuelle ?
Dakar est aujourd’hui le symbole d’une urbanisation mal maîtrisée. Les quartiers « spontanés » se multiplient, les constructions illégales pullulent, et les espaces publics sont souvent squattés ou dégradés. Près de 70 % des déplacements à Dakar se font à pied, mais les trottoirs sont encombrés, mal entretenus, voire inexistants.
Les inondations récurrentes dans des zones comme Keur Massar ou Pikine illustrent les conséquences dramatiques de cette anarchie urbaine, aggravée par une croissance démographique fulgurante et un manque criant de planification efficace. Malgré les projets structurants comme le TER ou le BRT, la mobilité reste un casse-tête quotidien, et les tentatives de régulation se heurtent à une résistance tenace des populations.
Les autorités ont beau suspendre les constructions illégales sur le littoral ou dans les zones protégées, les chantiers clandestins reprennent souvent dès que les contrôles se relâchent. La spéculation immobilière, la corruption et le manque de moyens de l’État expliquent en partie ce phénomène, mais la racine du problème est aussi culturelle : les Dakarois, par nécessité ou par habitude, contournent systématiquement les règles.
À Dakar, construire sans permis, occuper illégalement un trottoir ou jeter ses déchets dans la rue sont des pratiques courantes, souvent perçues comme des solutions de survie dans un contexte de précarité et de manque de logements abordables. L’habitat irrégulier représente aujourd’hui entre 35 et 40 % de la surface urbanisée de la région, et les sanctions (amendes, interruption de chantiers) peinent à dissuader les contrevenants. Comment convaincre des familles de renoncer à un toit, même illégal, quand l’État ne propose pas d’alternatives accessibles ?
Les campagnes de sensibilisation pour un Dakar propre ou organisé ont rarement porté leurs fruits. Les grands parcs métropolitains annoncés par Sonko risquent de subir le même sort que les espaces verts existants, souvent vandalisés ou transformés en dépotoirs. La mobilité douce (bateaux-taxis, téléphérique) suppose une discipline collective que la population n’a pas encore intégrée. Les transports en commun sont boudés au profit des taxis clandestins ou des motos surchargées, plus pratiques mais bien plus polluants.
Les Dakarois ont appris, au fil des décennies, à se méfier des promesses politiques. Les projets passés, comme Diamniadio, ont souvent été perçus comme des vitrines pour investisseurs plutôt que comme des solutions pour les citoyens. Sans une adhésion massive et une implication réelle des habitants, « Dakar Ville verte » restera un slogan creux.
Un urbanisme imposé ne peut pas réussir. Les exemples africains le montrent : les villes nouvelles planifiées coexistent avec une « ville réelle », spontanée et informelle, produite par les citadins eux-mêmes. Tant que les Sénégalais ne s’approprieront pas les règles, tant que l’État ne combinera pas répression et incitations (logements sociaux, services publics de qualité), les projets de refondation urbaine échoueront.
L’échec des précédents plans doit servir de leçon. La Grande Muraille Verte, lancée il y a plus de dix ans pour lutter contre la désertification, n’a atteint qu’une faible partie de ses objectifs, faute de coordination et d’implication locale. À Dakar, les inondations persistent, les trottoirs restent obstinément occupés, et les interdictions de construire sont régulièrement ignorées. Sans une révolution des comportements, « Dakar Métropole 2050 » risque de devenir un nouveau gaspillage de ressources.
La priorité doit être d’éduquer et d’impliquer, pas seulement de construire. Les villes durables en Afrique qui réussissent misent sur la participation citoyenne, l’éducation environnementale et des solutions adaptées aux réalités locales. Or, le projet de Sonko semble encore trop vertical, trop technocratique, et trop déconnecté des besoins immédiats des Dakarois.
Le Premier ministre a raison de vouloir une capitale digne, verte et organisée. Mais sans une remise en question profonde des habitudes sénégalaises et sans une politique publique qui allie fermeté, pédagogie et justice sociale, son projet restera une coquille vide. La vraie refondation de Dakar ne passera pas seulement par des gratte-ciels ou des parcs, mais par un changement culturel et comportemental que ni les lois ni les discours ne peuvent imposer du jour au lendemain.
La question n’est pas de savoir si l’État a les moyens de transformer Dakar, mais si les Dakarois sont prêts à transformer leurs propres pratiques. Et sur ce point, le doute est permis.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Marème Sow.
Mis en ligne : 08/09/2025
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