Quand la santé des détenus dépend du statut social : Farba Ngom au centre - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Justice | Par Eva | Publié le 12/09/2025 08:09:00

Quand la santé des détenus dépend du statut social : Farba Ngom au centre

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L’actualité judiciaire sénégalaise est une nouvelle fois secouée par l’affaire Farba Ngom. La Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), par la voix de sa présidente Amsatou Sow Sidibé, a officiellement demandé sa libération provisoire pour raisons médicales, arguant que son état de santé est incompatible avec la détention. Si la santé d’un détenu doit effectivement primer, pourquoi cette même sollicitude ne s’étend-elle pas aux centaines d’autres détenus, dont l’état est tout aussi alarmant, voire plus grave, dans les prisons surpeuplées et insalubres du Sénégal, notamment à Rebeuss ?

L’indignation sélective qui entoure ce dossier interroge : la justice sénégalaise et ses défenseurs des droits de l’homme pratiquent-ils un deux poids, deux mesures ?

Les conditions de détention au Sénégal sont régulièrement dénoncées par les organisations internationales. La prison de Rebeuss, par exemple, est décrite comme un « mouroir » : surpopulation endémique, soins médicaux défaillants, hygiène déplorable, et détentions provisoires interminables. Selon le ministère de la Justice, plus de 500 détenus croupissent en détention provisoire depuis plus de trois ans, et la durée moyenne de détention atteint un an. La Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la torture a récemment qualifié les prisons sénégalaises de « poudrière », soulignant l’urgence d’agir pour des milliers de détenus oubliés, dont beaucoup souffrent de maladies graves sans espoir de libération.

Pourtant, c’est seulement lorsque la santé d’une personnalité en vue, comme Farba Ngom, est en jeu que les institutions et la société civile se mobilisent avec une telle célérité. Le député-maire des Agnam, inculpé dans une affaire de blanchiment de capitaux, bénéficie d’une attention médiatique et judiciaire exceptionnelle : deux expertises médicales concordantes, une lettre officielle de la CNDH, et une pression médiatique constante. À Rebeuss, des détenus anonymes, parfois atteints de pathologies tout aussi graves, n’ont droit ni à une expertise médicale approfondie, ni à une campagne publique pour leur libération.

L’argument avancé par la CNDH et les ONG en faveur de Farba Ngom est légitime : son état de santé (syndrome d’apnée du sommeil sévère, risques cardiovasculaires, diabète) expose effectivement sa vie à un danger réel en prison. Mais pourquoi cette même logique humanitaire ne s’applique-t-elle pas aux autres ? Les rapports des Nations Unies et d’Amnesty International décrivent des détenus mourant faute de soins, des cas de tuberculose non traités, des décès évitables. Où sont les lettres officielles, les communiqués urgents, les mobilisations pour ces invisibles ?

La réponse est cruelle : au Sénégal, comme ailleurs, la notoriété et les réseaux comptent plus que la justice. Farba Ngom est un ancien cadre de l’APR, un parti longtemps au pouvoir, et un homme influent. Son cas est politiquement sensible, médiatiquement porteur. Les autres, eux, n’ont ni avocats influents, ni ONG à leur chevet, ni tribunes dans la presse. Leur souffrance est une statistique, leur mort une note de bas de page.

La Constitution sénégalaise et les conventions internationales garantissent à tout détenu le droit à la santé et à des conditions de détention dignes. Si l’état de santé de Farba Ngom justifie une libération provisoire, celui des centaines de détenus atteints de maladies chroniques ou contagieuses devrait logiquement entraîner les mêmes mesures. Sinon, on parle bien d’un système à deux vitesses.

À Rebeuss, la promiscuité et l’absence de soins transforment chaque cellule en foyer d’épidémie. Libérer un détenu pour raisons médicales tout en maintenant les autres dans ces conditions revient à accepter que certains vies valent plus que d’autres.

Plus de 3% des détenus sénégalais sont en détention provisoire depuis plus de trois ans, souvent pour des délits mineurs. Ces longues attentes, combinées à l’absence de soins, équivalent à une condamnation à mort lente pour les plus fragiles. La justice doit être la même pour tous, ou elle n’est plus justice.

En cédant à la pression pour Farba Ngom sans étendre cette logique aux autres, les autorités sénégalaises envoient un message clair : seuls les puissants ont droit à la clémence. Cela sape la confiance dans les institutions et encourage l’impunité des élites.

Dans des contextes similaires, certains pays africains ont opté pour des mesures radicales : libération massive des détenus en attente de jugement, réduction automatique des peines pour désengorger les prisons, ou mise en place de peines alternatives. Au Sénégal, les libérations récentes (comme celles de 2024) ont souvent été motivées par des crises politiques, non par une volonté de réforme structurelle. Pourtant, des solutions existent : bracelets électroniques, assignations à résidence, ou libérations sous caution pour les maladies graves. Pourquoi ne pas les généraliser ?

L’affaire Farba Ngom révèle une vérité gênante : au Sénégal, la santé et la liberté des détenus dépendent davantage de leur statut social que de leur état médical. Si la CNDH et les ONG obtiennent gain de cause pour lui, elles devront ensuite exiger la même équité pour tous les détenus malades. Sinon, leur combat perdra toute crédibilité.

La vraie question n’est pas de savoir si Farba Ngom doit être libéré, mais pourquoi les autres ne le sont pas. Une société qui tolère que des centaines de vies soient sacrifiées sur l’autel de l’indifférence et de l’inégalité ne mérite pas le nom de démocratie. La justice doit être aveugle, mais surtout, elle doit être juste.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pape Diallo.
Mis en ligne : 12/09/2025

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