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L’affaire Farba Ngom, député-maire de Agnam, défraie à nouveau la chronique. Depuis plusieurs semaines, société civile, ONG et opposition réclament sa libération provisoire, arguant d’un état de santé incompatible avec la détention. Pourtant, les révélations de l’ancien procureur Alioune Ndao sur l’expertise médicale qui entoure ce dossier jettent un trouble légitime : et si, une fois de plus, un responsable politique accusé de détournement de deniers publics bénéficiait d’un traitement de faveur, tandis que des milliers de détenus ordinaires croupissent dans des conditions indignes ?
Loin de nier la gravité de son état de santé, il est urgent de s’interroger : pourquoi Farba Ngom, accusé d’avoir détourné des fonds publics, suscite-t-il une telle mobilisation, alors que d’autres détenus, tout aussi malades, n’ont droit qu’à l’indifférence ? Et surtout, pourquoi le pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec semble-t-il réservé à une élite politique, tandis que les voleurs de moutons ou de bananes purgent leur peine dans la promiscuité et la précarité des prisons surpeuplées ?
Au Sénégal, la surpopulation carcérale est dramatique : plus de 14 000 détenus pour 4 924 places, selon des chiffres de 2025. Les conditions de détention sont souvent décrites comme inhumaines, avec des risques accrus de propagation de maladies et un accès limité aux soins. Pourtant, quand il s’agit de personnalités politiques ou de hauts responsables accusés de détournement de deniers publics, la justice semble trouver des solutions sur mesure. Le pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec, réservé aux détenus nécessitant des soins particuliers, est devenu le symbole d’une justice à géométrie variable. Comme le soulignent plusieurs observateurs, ce lieu est surtout connu pour accueillir des personnalités impliquées dans des scandales financiers, qui y bénéficient de conditions bien éloignées de celles des prisons ordinaires.
Farba Ngom n’est pas un cas isolé. Samuel Sarr, ancien ministre de l’Énergie, inculpé pour abus de biens sociaux estimés à plus de 8 milliards de FCFA, a lui aussi été transféré au pavillon spécial dès son incarcération. À l’inverse, des milliers de détenus, condamnés pour des délits bien moins graves, n’ont pas accès à des soins adaptés, encore moins à une libération provisoire pour raisons médicales. La question est simple : pourquoi un député-maire accusé de détournement de deniers publics bénéficierait-il d’une attention médicale et judiciaire que l’on refuse à des détenus ordinaires, parfois atteints de maladies tout aussi graves ?
Les révélations d’Alioune Ndao, ancien procureur de la CREI, sont accablantes. Il évoque une possible « supercherie » autour des rapports médicaux, rappelant le cas de Bibo Bourgi, qui avait simulé la maladie pour échapper à la justice. Pire, il suggère que le médecin impliqué dans l’affaire Farba Ngom serait le même que celui qui avait officié dans le dossier Bourgi, et qu’il ne figurerait même pas sur le tableau de l’Ordre des médecins. Si ces allégations sont graves, elles ne sont pas isolées : en 2019, le Dr El Ali Hachem Djab avait été accusé d’exercice illégal de la médecine dans l’affaire Bourgi, avant d’être innocenté. Le Dr Mbaye Paye, cardiologue réputé, a démenti avoir réalisé une expertise pour Farba Ngom après son arrestation, mais a confirmé avoir établi un premier rapport avant son incarcération.
Pourtant, la contre-expertise demandée par le parquet a confirmé le diagnostic initial : syndrome d’apnée du sommeil sévère, haut risque cardiovasculaire, diabète mal équilibré, obésité préoccupante. Un tableau clinique qui, selon ses avocats, justifierait une libération immédiate. Mais comment ne pas s’interroger sur la crédibilité de ces expertises, quand on sait que le pavillon spécial est souvent utilisé comme une porte de sortie pour les personnalités en difficulté ? Comme le note un article de Senego, « une fois sortis de prison, au moyen d’une liberté provisoire, ces tartufes tropicaux sont-ils dans le même état clinique ? ».
Au Sénégal, le détournement de deniers publics est puni de cinq à dix ans d’emprisonnement, et peut entraîner la confiscation de tous les biens du condamné. Farba Ngom est accusé d’avoir détourné des fonds destinés au développement local. Or, chaque franc soustrait à l’État est un franc qui manque aux écoles, aux hôpitaux, aux routes. Pourquoi un voleur de deniers publics bénéficierait-il d’une clémence que l’on refuse à un voleur de mouton ou à un petit délinquant ?
Les prisons sénégalaises sont surpeuplées et insalubres, c’est un fait. Mais si l’état de santé de Farba Ngom est si préoccupant, pourquoi ne pas l’avoir pris en charge avant son arrestation ? La justice ne devrait pas servir d’alibi pour échapper aux conséquences de ses actes. D’autres détenus, atteints de maladies chroniques, n’ont pas le luxe d’être transférés dans un pavillon VIP.
La mobilisation pour Farba Ngom contraste avec le silence qui entoure le sort de milliers de détenus ordinaires. Pourquoi la société civile et les ONG ne réclament-elles pas avec la même vigueur la libération des détenus malades qui n’ont pas commis de crimes financiers ? La réponse est simple : parce que Farba Ngom est une personnalité politique, et que son affaire a une dimension médiatique et politique.
Si Farba Ngom obtient une libération provisoire, quel message enverra-t-on aux autres responsables accusés de corruption ? Qu’il suffit d’invoquer un problème de santé pour échapper à la justice ? Cela reviendrait à encourager l’impunité, déjà trop répandue au Sénégal.
L’affaire Farba Ngom révèle un système judiciaire à bout de souffle, où les puissants bénéficient de privilèges que l’on refuse aux plus modestes. La santé des détenus doit être une préoccupation pour tous, mais elle ne saurait justifier des passe-droits pour une élite politique accusée de crimes économiques. Soit Farba Ngom est coupable, et il doit répondre de ses actes comme tout autre citoyen. Soit il est innocent, et la justice doit le prouver sans délai. Mais dans un pays où des milliers de détenus croupissent dans des conditions indignes, il est indécent de voir des personnalités accusées de détournement de deniers publics bénéficier de traitements de faveur.
La vraie question n’est pas de savoir si Farba Ngom doit sortir de prison pour raisons médicales. Elle est de savoir pourquoi, au Sénégal, certains détenus valent plus que d’autres. Tant que la justice ne traitera pas tous les citoyens à égalité, elle perdra sa crédibilité. Et c’est toute la démocratie qui en paiera le prix.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Souaré.
Mis en ligne : 15/09/2025
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