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L’Inspection générale d’État (IGE) vient de lancer une mission d’audit ciblant spécifiquement la gestion de Barthélémy Dias à la mairie de Dakar, peu après son éviction et sa condamnation définitive dans l’affaire Ndiaga Diouf. Si l’audit des gestionnaires publics est une pratique normale, le timing et la cible de cette mission interrogent. À l’heure où le Sénégal a plus que jamais besoin d’institutions justes et impartiales, on ne peut s’empêcher de voir dans cette initiative une manœuvre politique déguisée. Auditer, oui, mais pourquoi seulement ceux qui dérangent ?
Quand la reddition de comptes se transforme en traque sélective, c’est la crédibilité même de nos institutions qui est en jeu.
Barthélémy Dias, figure de proue de l’opposition et ancien maire de Dakar, a été évincé en décembre 2024 après une condamnation définitive pour son implication dans la mort de Ndiaga Diouf en 2011. Sa révocation a ouvert la voie à l’élection d’Abass Fall (Pastef) en août 2025, dans un contexte politique déjà tendu. L’audit de l’IGE, lancé avant même l’arrivée du nouveau maire, s’inscrit dans une dynamique où les opposants politiques sont systématiquement placés sous surveillance administrative après leur affaiblissement judiciaire ou électoral. Comme le souligne Demba Guèye, enseignant-chercheur en analyse du discours politique, « il faut s’attendre à ce qu’on donne à Barthélémy Dias le coup de grâce ». L’histoire récente du Sénégal regorge d’exemples similaires : Khalifa Sall, Karim Wade, et bien d’autres ont vu des audits se transformer en leviers de disqualification politique.
L’IGE, censée garantir la transparence et la bonne gouvernance, est aujourd’hui perçue par beaucoup comme un outil au service du pouvoir. En 2015, un simple rapport de l’IGE avait suffi à enclencher une procédure judiciaire contre Khalifa Sall, alors maire de Dakar. Aujourd’hui, c’est au tour de Barthélémy Dias de subir ce traitement. La coïncidence est troublante : l’audit intervient juste après sa chute, comme pour s’assurer qu’il ne se relève pas.
L’audit de la gestion de Barthélémy Dias n’est pas un cas isolé. Depuis juillet 2025, le gouvernement a lancé une vaste mission d’inspection ciblant 16 collectivités territoriales, dont plusieurs sont dirigées par des figures de l’opposition ou des élus critiques du pouvoir. Cette dynamique soulève une question cruciale : où se situe la ligne entre contrôle légitime et interférence politique ?
Pourtant, les irrégularités financières ne manquent pas dans les rangs du pouvoir. La Cour des comptes a révélé en février 2025 que la dette publique du Sénégal atteignait 99,67 % du PIB en 2023, bien au-delà des chiffres officiellement communiqués par l’ancien régime. Des programmes comme le CAP/Gouvernement ou le PDIES présentent des irrégularités graves, avec des engagements financiers sans couverture budgétaire et des surfinancements dont l’utilisation reste floue. Pourtant, aucun audit ciblé n’a été annoncé pour les ministères ou les structures proches du pouvoir actuel.
Assane Samb, journaliste analyste politique, ne dit pas autre chose : « Quand les gens savent que vous êtes un adversaire, vous devenez une cible. Tous les moyens seront bons pour vous faire tomber ». La sélectivité des audits est d’autant plus flagrante que les collectivités dirigées par des alliés du régime semblent épargnées par ce zèle soudain.
L’audit de la mairie de Dakar est lancé alors que Barthélémy Dias est déjà affaibli par sa condamnation et son éviction. Pourquoi ne pas avoir agi plus tôt, quand il était encore en fonction ? La réponse est évidente : il s’agit de profiter de sa vulnérabilité pour l’achever politiquement.
Le Sénégal a une fâcheuse tendance à utiliser les organes de contrôle pour neutraliser l’opposition. Khalifa Sall, Karim Wade, et maintenant Barthélémy Dias : la liste des opposants ciblés par des audits ou des procédures judiciaires est longue. À chaque fois, le scénario est le même : un audit, une médiatisation à charge, puis une disqualification politique.
Si l’IGE et la Cour des comptes sont légitimes pour auditer la gestion publique, pourquoi ne pas publier systématiquement leurs rapports ? Pourquoi cibler uniquement les opposants, alors que les dérives financières sont bien plus graves au sommet de l’État ? La dette cachée, les surfinancements, les irrégularités dans les marchés publics : autant de sujets qui mériteraient une attention urgente, mais qui restent dans l’ombre.
Ces pratiques alimentent la méfiance des citoyens envers les institutions. Quand la justice et les organes de contrôle sont perçus comme des armes politiques, c’est toute la démocratie qui en pâtit. Le Sénégal a besoin d’institutions indépendantes, pas de bras armés du pouvoir.
Dans de nombreux pays africains, les audits ciblés sont devenus un moyen classique de museler l’opposition. En Côte d’Ivoire, au Gabon, ou encore au Togo, les opposants sont régulièrement la cible d’enquêtes administratives ou judiciaires, tandis que les proches du pouvoir bénéficient d’une impunité de fait. Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, risque de basculer dans cette logique si rien n’est fait pour garantir l’impartialité des audits.
En France, l’Inspection générale de l’administration (IGA) publie régulièrement ses rapports et audite indistinctement tous les services de l’État, sans distinction politique. Pourquoi le Sénégal ne pourrait-il pas en faire autant ?
Auditer la gestion publique, c’est normal. Mais quand l’IGE débarque juste après l’éviction d’un opposant déjà condamné et affaibli, on ne peut s’empêcher d’y voir une manœuvre politique. Le Sénégal a besoin d’institutions justes, pas d’armes de neutralisation.
Si le gouvernement veut vraiment restaurer la confiance, qu’il audite tout le monde : les ministères, les collectivités dirigées par la majorité, les programmes publics controversés. Sinon, ce n’est plus de la reddition de comptes, c’est de la traque sélective. Et dans une démocratie, la justice doit être la même pour tous opposants comme alliés du pouvoir.
La crédibilité de nos institutions est en jeu. Il faut agir pour un Sénégal où la loi s’applique à tous, sans distinction ni calcul politique.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mbaye Diop.
Mis en ligne : 27/09/2025
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