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Il y a quelques jours, l’ancien Premier ministre Amadou Bâ s’est rendu à deux reprises en moins de 24 heures à la Maison d’arrêt de Rebeuss, d’abord pour voir son fils Ibrahima, incarcéré dans le cadre d’une enquête sur ses liens d’affaires supposés avec Amadou Sall, fils de l’ex-président Macky Sall. Le lendemain, il y est retourné, reçu dans le bureau du directeur, et en a profité pour saluer d’anciens camarades de parti comme Moustapha Diop et Mansour Faye. Si la scène peut sembler anodine, elle révèle une réalité troublante : Rebeuss, lieu de détention pour les uns, devient un salon pour les autres.
Cet épisode illustre le scandale des privilèges qui minent la crédibilité de la justice sénégalaise et interroge : comment un ancien Premier ministre peut-il entrer et sortir de prison comme dans un club privé, alors que des détenus ordinaires croupissent dans des conditions indignes ?
La Maison d’arrêt de Rebeuss, construite en 1929, est tristement célèbre pour sa surpopulation et ses conditions de détention déplorables. Selon le Département d’État américain, la prison accueille plus du double de sa capacité, avec des problèmes récurrents de promiscuité, d’hygiène et d’accès aux soins. Pourtant, certains détenus, souvent proches du pouvoir, bénéficient de traitements de faveur : cellules équipées de ventilateurs, chauffe-eau, et même des cuisines privatives, comme le révèle un récent reportage sur la « chambre 42 », réservée à une élite carcérale. Pendant ce temps, la majorité des détenus subissent des conditions « dures et potentiellement mortelles ».
Les visites en prison sont normalement soumises à des règles strictes : autorisation préalable, jours et horaires fixes, contrôle des visiteurs. Pourtant, les personnalités politiques semblent jouir d’une liberté de mouvement exceptionnelle, transformant Rebeuss en un lieu de sociabilité et de stratégie politique.
La présence d’Amadou Bâ à Rebeuss n’est pas seulement familiale. Elle est aussi politique. En rencontrant Mansour Faye et Moustapha Diop, il rappelle que la prison est aussi un lieu où l’on prépare les retours en grâce, où l’on négocie les alliances, où l’on protège ses réseaux. Cette scène pose une question lancinante : la justice sénégalaise est-elle devenue un outil de régulation des conflits internes au pouvoir, plutôt qu’une institution au service de l’égalité ?
Sous Macky Sall, plusieurs figures de l’opposition ont été incarcérées dans des conditions controversées, tandis que des proches du régime bénéficiaient de libertés provisoires ou de non-lieux. Amnesty International a dénoncé à plusieurs reprises l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, notamment lors de l’élection présidentielle de 2024, où des opposants comme Karim Wade ou Khalifa Sall ont été ciblés par des procédures judiciaires jugées partiales.
Amadou Bâ, son fils est en prison, mais lui peut circuler librement, discuter avec d’anciens ministres, et bénéficier de l’accueil du directeur de l’établissement. Ce deux poids, deux mesures, est d’autant plus choquant que des milliers de Sénégalais n’ont même pas accès à un avocat ou à des soins de base.
Les visites VIP, les cellules confortables, les rencontres politiques en prison ne sont pas des exceptions, mais la norme pour une certaine caste. Comment expliquer qu’un ancien Premier ministre puisse être reçu dans le bureau du directeur, alors que les familles de détenus ordinaires doivent patienter des heures sous le soleil pour un droit de visite ?
L’incarcération de figures politiques est souvent suivie de libérations opportunes ou de réductions de peine, comme pour Mansour Faye. Ces pratiques alimentent la défiance envers une justice perçue comme partiale et corrompue.
Les affaires judiciaires impliquant des fils de personnalités politiques (comme Karim Wade ou Ibrahima Bâ) traînent en longueur, tandis que des citoyens lambda sont condamnés sans appel pour des délits mineurs. Cette injustice structurelle sape la confiance dans les institutions.
Cette situation n’est pas unique au Sénégal. Dans de nombreux pays, les prisons réservent un traitement de faveur aux élites. En France, par exemple, des personnalités politiques ou économiques incarcérées bénéficient souvent de régimes de détention plus cléments. Mais au Sénégal, le contraste est saisissant : entre les cellules VIP et les dortoirs surpeuplés, entre les visites protocolaires et les parloirs bondés, l’écart est un scandale démocratique.
La scène de Rebeuss est un symbole. Elle montre que tant que la justice sénégalaise restera soumise aux logiques de pouvoir, elle ne pourra pas prétendre à la crédibilité. Il faut mettre fin à ces privilèges indéfendables, de garantir des conditions dignes pour tous les détenus, et de restaurer l’indépendance de la justice. Sinon, le message envoyé aux citoyens est clair : au Sénégal, on naît avec des droits différents.
La question n’est plus seulement de savoir si Amadou Bâ a le droit de voir son fils. Elle est de savoir si le Sénégal veut une justice pour tous, ou une justice à deux vitesses. La réponse dépendra de la volonté politique de rompre avec ces pratiques. En attendant, Rebeuss reste le miroir d’une démocratie malade, où la loi ne s’applique qu’aux plus faibles.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Daouda Dieng.
Mis en ligne : 02/10/2025
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