Le langage disculpant d'un fugitif : Décryptage de l’affaire Madiambal - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Justice | Par Eva | Publié le 06/10/2025 09:10:15

Le langage disculpant d'un fugitif : Décryptage de l’affaire Madiambal

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L’affaire Madiambal Diagne, journaliste et homme d’affaires sénégalais, a pris un tournant théâtral ces derniers jours. Interdit de quitter le Sénégal dans la nuit du 23 septembre 2025, il a finalement réussi à rejoindre la France, déclenchant une série de limogeages au sommet de la police sénégalaise. Dans un texte publié dans Le Quotidien, Diagne s’indigne : le limogeage du commissaire de l’aéroport, qui aurait fait preuve d’un « certain zèle » à son encontre, ne serait que du « spectacle ».

Pire, il remet en cause la légitimité des poursuites judiciaires dont il fait l’objet, affirmant que la justice ne le « traquait » pas. Pourtant, les faits et le contexte suggèrent une tout autre réalité.

Madiambal Diagne n’est pas un simple journaliste en délicatesse avec le pouvoir. Il est au cœur d’une enquête pour rétrocommissions estimées à plus de 32 millions d’euros, perçues entre 2020 et 2023, dans le cadre de marchés publics liés à la construction d’infrastructures judiciaires. La Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) a identifié des flux financiers suspects impliquant sa société, Ellipse Projects International, ainsi que des membres de sa famille. Convoqué par la Division des investigations criminelles (DIC) pour s’expliquer sur ces allégations, il a préféré fuir le pays plutôt que de se présenter aux enquêteurs. Une fuite précipitée, suivie d’une déclaration depuis la France où il promet de revenir « volontairement » se soumettre à la justice. Une promesse qui sonne creux, tant les circonstances de son départ soulèvent des questions.

Les autorités sénégalaises ont réagi avec fermeté : le chef de la DIC et le commissaire spécial de l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD) ont été relevés de leurs fonctions. Une décision logique, compte tenu de l’ampleur de la faille sécuritaire qui a permis à un individu sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire de quitter le pays sans encombre. Pourtant, Diagne s’étonne de ces limogeages, qualifiant celui du commissaire de l’aéroport de « spectacle ». Une réaction qui mérite d’être décryptée.

Depuis son premier post après sa fuite, Madiambal Diagne insiste sur le « zèle » du commissaire de police de l’aéroport. Pourquoi cette obsession ? Un bon enquêteur se demanderait si cette insistance ne cache pas une tentative de disculper un fonctionnaire qui, en réalité, n’a fait qu’appliquer les consignes de sa hiérarchie. En mettant en avant le zèle du commissaire, Diagne tente de peindre les autorités comme des persécuteurs, alors que c’est la justice qui l’a convoqué, et non l’arbitraire.

Son argumentation est pour le moins troublante. Il affirme que s’il était vraiment recherché, il aurait été arrêté chez lui bien avant son départ. Pourtant, une convocation à la DIC et une interdiction de sortie du territoire sont des mesures judiciaires classiques, pas des preuves de persécution. Son raisonnement, qui frise le sophisme, vise à semer le doute sur la légitimité des poursuites. Mais les faits sont têtus : Diagne était bien sous le coup d’une opposition à sortie du territoire, délivrée par une autorité judiciaire compétente. Son refus de se présenter à la convocation et sa fuite précipitée vers la France trahissent une stratégie bien rodée : se poser en victime pour mieux échapper à ses responsabilités.

Cette rhétorique n’est pas sans rappeler d’autres affaires, où des personnalités accusées de corruption ont tenté de retourner l’opinion en leur faveur en jouant la carte de la victimisation. Au Brésil, lors de l’opération Lava Jato, plusieurs hommes politiques et hommes d’affaires avaient adopté une posture similaire, dénonçant des « persécutions » pour masquer leurs propres manquements. Au Sénégal, Diagne semble emprunter la même voie, espérant sans doute que l’émotion l’emportera sur la raison.

Les limogeages du chef de la DIC et du commissaire de l’aéroport ne sont pas des mesures arbitraires. Ils répondent à une faille grave dans le dispositif sécuritaire : comment un individu sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire a-t-il pu quitter le pays sans être interpellé ? Dans des démocraties plus établies, comme les États-Unis ou la France, de tels manquements auraient également entraîné des sanctions disciplinaires, voire pénales. Au Maroc, des hauts fonctionnaires ont été écartés pour des manquements bien moins graves, afin de garantir l’intégrité des institutions.

Diagne feint l’indignation, mais les limogeages sont une réponse nécessaire à un dysfonctionnement majeur. Plutôt que de s’en prendre aux autorités, il ferait mieux de s’expliquer sur les accusations de corruption qui pèsnt sur lui. Son insistance à disculper le commissaire de l’aéroport est d’autant plus suspecte qu’elle pourrait révéler des pressions ou des complicités au sein de l’appareil sécuritaire. Une piste que les enquêteurs gagneraient à explorer, même si elle ne mène pas forcément là où Diagne le suggère.

Diagne affirme que la justice ne le « traquait » pas, arguant qu’il aurait été arrêté chez lui s’il en avait été autrement. Pourtant, les faits contredisent ses propos : son interdiction de sortie du territoire était bien réelle, tout comme la convocation à la DIC. Son argument selon lequel il aurait été arrêté « illégalement » avant toute audition est un leurre. La procédure veut qu’un suspect soit entendu avant toute mesure coercitive, mais fuir une convocation est un aveu de faiblesse, pas un acte de résistance.

Son discours, qui oscille entre la victimisation et la défiance, trahit une volonté de brouiller les pistes. En insistant sur le « zèle » du commissaire, il cherche à détourner l’attention des vrais enjeux : les graves accusations de corruption qui pèsent sur lui et sur sa société. Une stratégie risquée, car elle pourrait se retourner contre lui. En effet, plus il insiste sur l’attitude des policiers, plus il donne l’impression d’avoir quelque chose à cacher.

Madiambal Diagne joue avec les mots et les apparences, mais les faits sont implacables. Sa fuite, ses déclarations ambiguës et son insistance à disculper le commissaire de l’aéroport révèlent une volonté de brouiller les pistes et de semer la confusion. Les limogeages ne sont pas un « spectacle », mais une réponse nécessaire à une faille grave dans le dispositif sécuritaire. Plutôt que de chercher des boucs émissaires, Diagne ferait mieux de répondre devant la justice, comme il s’y est engagé.

Dans cette affaire, le vrai scandale n’est pas le zèle des policiers, mais l’impunité que certains semblent encore croire possible. La justice sénégalaise a désormais l’occasion de prouver sa crédibilité. À Diagne de montrer, s’il l’ose, que ses protestations d’innocence ne sont pas qu’un leurre. En attendant, son attitude ne fait que renforcer les suspicions qui pèsent sur lui. La fuite, après tout, reste le pire des aveux.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ousseynou Ngom.
Mis en ligne : 06/10/2025

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