Une mère embarque sa fille : L'émigration clandestine comme seule issue - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Fait divers | Par Eva | Publié le 11/10/2025 11:10:45

Une mère embarque sa fille : L'émigration clandestine comme seule issue

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Dans la nuit du 3 au 4 octobre 2025, à Anse Bernard, près de Dakar, trois personnes, dont une mère et sa fille de six ans, ont été interpellées alors qu’elles s’apprêtaient à embarquer, avec près d’une centaine d’autres, sur une pirogue à destination des îles Canaries. Grâce à l’intervention de maîtres-nageurs, la traversée a été avortée in extremis. Les passeurs, eux, ont pris la fuite, laissant derrière eux des vies en suspens et des questions sans réponses.

Cet épisode, tragiquement banal, illustre une réalité glaçante : l’émigration clandestine n’est plus une exception, mais une « solution » de désespoir pour des milliers de personnes. Derrière les chiffres et les interpellations, c’est l’échec collectif d’une communauté internationale qui tolère, par son inaction, que la mort en mer devienne une option.

Chaque année, des milliers d’Africains de l’Ouest risquent leur vie pour rejoindre l’Europe via l’Atlantique, une route devenue l’une des plus meurtrières au monde. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 1 500 personnes ont péri ou disparu sur cette route en 2024, un bilan en hausse constante. Pourtant, ces drames ne suscitent qu’une indignation épisodique, rapidement engloutie par l’actualité.

Les causes sont connues : pauvreté, manque de perspectives, conflits, et politiques migratoires restrictives qui ferment les portes légales. Pourtant, rien ne change. Pire, ces traversées se banalisent, au point qu’une mère puisse considérer comme « normal » d’emmener sa fille de six ans dans une embarcation de fortune.

L’article relatant l’arrestation à Anse Bernard décrit une scène devenue routinière : un groupe de candidats à l’exil, des passeurs insaisissables, et des autorités qui interviennent trop tard. Mais ce qui choque le plus, c’est l’âge de l’enfant impliquée. Comment en arrive-t-on là ? Quand une famille est prête à exposer un enfant en bas âge à un voyage où le risque de noyade, de déshydratation ou d’abus est omniprésent, c’est que toutes les autres options ont été épuisées. Ce n’est pas un choix, c’est un ultime recours.

Pourtant, la réponse des États, sénégalais comme européens, reste largement sécuritaire : arrestations, dispersions, et enquêtes qui peinent à démanteler les réseaux. Pendant ce temps, les passeurs, eux, continuent de prospérer, vendant un rêve qui se termine trop souvent en cauchemar.

La médiatisation de ces événements suit un schéma prévisible : un article, quelques jours d’attention, puis l’oubli. Comme si ces vies valaient moins que d’autres. Comme si le fait que ces drames se déroulent loin des côtes européennes les rendait moins réels. Pourtant, chaque pirogue interceptée, chaque corps repêché, devrait sonner comme un réveil. Au lieu de cela, on assiste à une forme d’accoutumance. Les traversées clandestines ne sont plus perçues comme des crises humanitaires, mais comme des faits divers, des statistiques, ou pire, comme une fatalité.

Premièrement, le désespoir qui pousse une mère à risquer la vie de son enfant est le symptôme d’un système défaillant. Quand les voies légales d’émigration sont quasi inexistantes, quand les promesses de développement restent lettres mortes, et quand les inégalités économiques se creusent, l’exil clandestin devient la seule issue. Ce n’est pas un hasard si les départs se multiplient malgré les dangers : c’est le résultat direct de décennies de politiques qui ont échoué à offrir des alternatives.

Deuxièmement, la communauté internationale ferme les yeux tant que les corps ne s’échouent pas sur ses plages. Les îles Canaries, porte d’entrée vers l’Europe, sont devenues le symbole de cette hypocrisie. L’Espagne et l’Union européenne renforcent leurs contrôles frontaliers, signent des accords avec des pays comme le Sénégal ou la Mauritanie pour « lutter contre l’immigration irrégulière », mais refusent de s’attaquer aux causes profondes. Pire, ces accords transforment souvent les pays de transit en geôliers, sans garantir ni sécurité ni dignité aux migrants.

Enfin, la banalisation de ces drames est une insulte à l’humanité. En 2013, le naufrage de Lampedusa avait provoqué une onde de choc. Douze ans plus tard, les naufrages se comptent par dizaines, et l’émotion s’est émoussée. On parle de « flux migratoires » comme on parlerait d’un phénomène naturel, oubliant que chaque chiffre représente une vie brisée, une famille déchirée.

La Méditerranée est souvent citée comme l’exemple le plus frappant de cette indifférence. Pourtant, l’Atlantique n’est pas en reste. Les traversées vers les Canaries sont aujourd’hui aussi meurtrières que celles vers l’Italie ou la Grèce. Et comme en Méditerranée, les solutions proposées, patrouilles renforcées, centres de rétention, externalisation des frontières, ne font que déplacer le problème, sans le résoudre.

En Libye, en Turquie, ou au Maroc, les migrants sont souvent victimes de violences et d’exploitation, avec la complicité passive de l’Europe. L’histoire se répète, et les leçons ne sont pas tirées.

Il faut cesser de traiter les migrants comme un problème à contenir, et de reconnaître qu’ils sont d’abord des victimes, d’un système économique injuste, de conflits non résolus, et de politiques migratoires cyniques. Voici ce qui doit changer :

Ouvrir des voies légales d’émigration pour briser le monopole des passeurs. Les visas humanitaires, les programmes de réinstallation, et les accords de mobilité doivent être multipliés.

Investir massivement dans le développement en Afrique de l’Ouest, non pas sous forme d’aumône, mais de partenariats équitables qui permettent aux populations de vivre dignement chez elles.

Sanctionner les États complices des réseaux de passeurs, et cesser de fermer les yeux sur la corruption qui permet à ces réseaux de prospérer.

Médiatiser ces drames autrement : non pas comme des faits divers, mais comme des crimes contre l’humanité, qui engagent la responsabilité de tous.

La traversée d’une mère et de sa fille de six ans dans une pirogue n’est pas une anecdote, c’est un scandale. Un scandale qui nous concerne tous, car il révèle l’échec de nos sociétés à protéger les plus vulnérables. Tant que nous accepterons que des milliers de personnes n’aient d’autre choix que de risquer leur vie pour espérer un avenir, nous serons complices.

La question n’est pas de savoir si nous pouvons agir, mais si nous en avons la volonté. Aujourd’hui, la réponse est claire : non, nous n’avons pas le droit de nous habituer à ces drames. Non, nous ne pouvons pas continuer à détourner le regard. La vie d’un enfant de six ans, où qu’il naisse, vaut plus que toutes les frontières du monde.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : El Hadji Malick D.
Mis en ligne : 10/10/2025

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