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Le différend opposant la PME sénégalaise Veneta Flex Hydraulic à la filiale locale du géant français Eiffage révèle un déséquilibre criant de pouvoir entre les grandes entreprises étrangères et les acteurs locaux. Accusée de falsification de contrat et de non-paiement de prestations, Eiffage Rail Sénégal a réussi à faire déclarer incompétent le Tribunal de commerce de Dakar, invoquant une clause d’arbitrage international contestée par Veneta Flex.
Ce cas n’est pas isolé : il illustre une pratique systémique où les multinationales imposent des règles du jeu inéquitables, privant les PME africaines de leur droit à une justice équitable et locale. Ces clauses, souvent négociées dans l’ombre, deviennent des outils d’évasion judiciaire et de domination économique.
En Afrique, les PME représentent plus de 75 % des entreprises formelles et 40 % du PIB national, mais elles restent vulnérables face aux multinationales, mieux armées juridiquement et financièrement. Le recours à l’arbitrage international, souvent imposé dans les contrats, est un symbole de ce déséquilibre. Près de 55 % des arbitrages liés à l’Afrique concernent des litiges entre entreprises, et la majorité de ces procédures ont lieu à Paris ou Londres, loin des juridictions locales. Les entreprises africaines se retrouvent ainsi dans des procédures qu’elles comprennent mal, face à des adversaires rompus aux rouages de l’arbitrage international.
Dans le cas de Veneta Flex, la clause d’arbitrage, supposément falsifiée, prive l’entreprise sénégalaise de son droit à un procès au Sénégal. Pire, le Tribunal de commerce de Dakar s’est déclaré incompétent, forçant Veneta Flex à se tourner vers le parquet pour faire reconnaître une usurpation d’identité et une falsification de documents. Ce scénario est révélateur : les PME locales sont souvent contraintes d’accepter des clauses qu’elles n’ont ni négociées ni comprises, sous peine de perdre des contrats vitaux.
L’arbitrage international est devenu le « mode normal » de règlement des différends commerciaux, mais son coût, son opacité et sa complexité en font un outil inaccessible pour la plupart des PME africaines. Dans le cas de Veneta Flex, la clause prévoit un arbitrage à Paris, en français, selon les règles de la Chambre de commerce internationale un cadre onéreux et étranger, où les chances de victoire sont minces face à un géant comme Eiffage.
Cette pratique n’est pas anodine : elle reflète une stratégie délibérée des multinationales pour échapper aux juridictions locales, perçues comme moins favorables ou moins expérimentées. Pourtant, l’Afrique dispose de centres d’arbitrage reconnus, comme ceux de l’OHADA, mais ces derniers sont rarement choisis par les investisseurs étrangers. Le résultat ? Les PME locales sont désarmées, tandis que les multinationales bénéficient d’une impunité de fait, protégées par des clauses qu’elles ont elles-mêmes rédigées.
Le cas de Veneta Flex est d’autant plus grave que l’entreprise accuse Eiffage d’avoir falsifié son nom sur le contrat (« Veneta Frex »), une allégation qui, si elle est avérée, constituerait un délit pénal. Pourtant, le système actuel permet à Eiffage de retarder, voire d’éviter, un jugement sur le fond.
L’imposition de clauses abusives : Les clauses d’arbitrage sont rarement négociées à armes égales. Elles sont souvent imposées par la partie la plus puissante, qui choisit aussi le lieu et la langue de l’arbitrage. Veneta Flex n’a jamais signé une telle clause, selon son PDG, mais se retrouve malgré tout contrainte de se battre sur un terrain qui lui est défavorable.
L’évasion judiciaire : En forçant le recours à l’arbitrage international, Eiffage prive Veneta Flex d’un procès équitable au Sénégal, où les preuves et les témoins sont plus accessibles. Ce détournement de justice est d’autant plus choquant qu’il s’appuie sur un contrat dont l’authenticité est contestée.
Un symbole de l’impuissance des PME : Le Tribunal de commerce de Dakar, en se déclarant incompétent, a validé ce mécanisme d’évasion. Pourtant, l’OHADA et d’autres instances africaines tentent de moderniser le droit de l’arbitrage pour attirer les litiges sur le continent. Mais tant que les multinationales refuseront de jouer le jeu, les PME resteront à leur merci.
Un manque à gagner pour l’Afrique : Les litiges arbitrés à l’étranger privent les États africains de recettes judiciaires et renforcent la dépendance aux centres d’arbitrage occidentaux. Pire, ils découragent les investissements locaux et fragilisent la confiance dans les partenariats public-privé.
Ce différend rappelle d’autres affaires où des multinationales ont utilisé l’arbitrage international pour contourner les juridictions locales. Au Nigeria, une entreprise a obtenu une condamnation de 9,7 milliards de dollars contre l’État, suite à un arbitrage à Londres, un montant démesuré, qui pèse lourdement sur les finances publiques. Au Mali, l’État a été condamné par le CIRDI après un litige avec une filiale de Randgold, malgré des audits fiscaux réguliers. Ces exemples montrent comment l’arbitrage peut devenir une arme contre les États et les PME, plutôt qu’un outil de résolution équitable des conflits.
Le cas Veneta Flex/Eiffage est un appel à l’action. Il est urgent de rendre obligatoires les arbitrages locaux pour les litiges impliquant des entreprises opérant en Afrique, en s’appuyant sur les centres de l’OHADA. Il faut renforcer la transparence dans la rédaction des contrats, avec un contrôle systématique des clauses d’arbitrage par les autorités locales, et soutenir les PME face aux abus des multinationales, via des fonds d’aide juridique et des médiations obligatoires avant arbitrage.
Les PME africaines ne doivent plus être les victimes silencieuses d’un système conçu pour protéger les plus puissants. La justice doit être rendue là où les contrats sont exécutés, et les multinationales doivent répondre de leurs actes devant les tribunaux locaux. Sinon, le message envoyé aux entrepreneurs africains sera clair : dans le jeu économique mondial, vous êtes seuls, et la loi du plus fort prévaut.
Il faut que les États africains et la communauté internationale agissent pour rééquilibrer les rapports de force. Les PME comme Veneta Flex méritent mieux qu’une justice à deux vitesses. Exigeons des règles du jeu équitables, où chaque entreprise, quelle que soit sa taille, a droit à un procès juste et local. La crédibilité de l’investissement étranger en dépend.
Article opinion écrit par le créateur de contenu :Saliou M.
Mis en ligne : 19/10/2025
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