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La récente passe d’armes entre Abass Fall, maire de Dakar, et Abdourahmane Diouf, ministre de l’Environnement, aurait pu rester une querelle interne au camp présidentiel. Pourtant, c’est sur les réseaux sociaux que le débat a éclaté, transformant une divergence politique en spectacle public. En qualifiant Diouf de « profitard » et en l’accusant de « saper l’unité du parti », Abass Fall a choisi Facebook et Twitter comme tribune, révélant une tendance inquiétante : la gouvernance par punchlines et la médiatisation des règlements de comptes. Si les réseaux sociaux sont devenus des outils incontournables de communication politique, leur usage immodéré par les responsables publics pose question.
À force de régler ses différends en ligne, le Pastef et le gouvernement sénégalais ne risquent-ils pas d’affaiblir leur crédibilité et de nuire à l’image du pays ? L’épisode récent montre que ces plateformes, loin d’être des espaces de débat constructif, se transforment en arènes où l’émotion prime sur la raison, où l’image l’emporte sur la substance, et où la stabilité politique se trouve menacée.
Depuis l’arrivée de Bassirou Diomaye Faye à la présidence, les tensions internes au Pastef et à la majorité présidentielle se règlent de plus en plus souvent sur les réseaux sociaux. Abass Fall, figure montante du parti, en a fait son terrain de prédilection. Ses publications au vitriol, ses formules choc (« Calmez-vous, profitards ! », « Faites attention à vos tibias »), et ses attaques personnelles contre des membres du gouvernement ne sont pas des exceptions, mais bien la norme. Pourtant, cette pratique n’est pas anodine : elle reflète une culture politique où l’instantanéité et la viralité priment sur la réflexion et la discrétion.
Le problème n’est pas tant le désaccord entre Abass Fall et Abdourahmane Diouf que la manière dont il est exposé. En étalant publiquement ses divergences, le maire de Dakar ne se contente pas de défendre une ligne politique. Il contribue à normaliser une forme de gouvernance par l’affrontement, où les institutions sont court-circuitées au profit de joutes verbales en ligne. Or, quand les responsables politiques utilisent les réseaux sociaux comme des tribunaux parallèles, c’est toute la crédibilité de l’État qui en pâtit.
Les réseaux sociaux ont ce pouvoir : ils amplifient les conflits, polarisent les débats et réduisent les nuances. La réaction d’Abass Fall à Diouf en est un exemple frappant. Au lieu de privilégier des canaux internes pour exprimer ses réserves, il a choisi la voie publique, transformant une querelle partisane en crise médiatique. Le message envoyé est clair : dans le Sénégal de 2025, les désaccords ne se règlent plus dans les coulisses du pouvoir, mais sous les projecteurs de Twitter et Facebook.
Cette médiatisation a des conséquences directes. D’abord, elle affaiblit l’autorité du président Faye, dont le rôle devrait être d’arbitrer les tensions, pas de les subir en direct. Ensuite, elle donne l’impression d’un parti divisé, incapable de gérer ses contradictions en interne. Enfin, elle discrédite les institutions : comment prendre au sérieux un gouvernement dont les ministres et les élus s’invectivent publiquement ?
Le style « punchline » d’Abass Fall, s’il peut séduire une partie de l’électorat, révèle aussi une forme d’amateurisme. Un maire, surtout celui de la capitale, se doit d’incarner une certaine gravité. Or, en recourant à des formules ironiques et à des attaques personnelles, il donne l’image d’un responsable plus soucieux de marquer des points que de construire des solutions. Pire, il banalise un ton qui, à force d’être reproduit, pourrait contaminer l’ensemble de la classe politique.
L’impact de ces polémiques dépasse largement les frontières du Pastef. À l’international, le Sénégal a longtemps été perçu comme un modèle de stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest. Pourtant, ces règlements de comptes en ligne envoient un signal opposé : celui d’un pays où les élites politiques peinent à se parler, où les egos priment sur l’intérêt général, et où les réseaux sociaux deviennent le reflet d’une gouvernance improvisée.
Au Nigeria, les querelles publiques entre membres du gouvernement ont souvent été le prélude à des crises politiques plus profondes. En Côte d’Ivoire, les tensions entre partisans d’Alassane Ouattara et de Guillaume Soro, exacerbées par les réseaux sociaux, ont contribué à fragiliser la cohésion nationale. Au Sénégal, le risque est le même : à force de laver son linge sale en public, le pouvoir actuel pourrait éroder la confiance des citoyens et des partenaires internationaux.
Par ailleurs, ces polémiques détournent l’attention des vrais enjeux. Alors que le pays fait face à des défis économiques majeurs (dette publique, chômage, renégociation des contrats pétroliers), les débats se concentrent sur des querelles de personnes. Les réseaux sociaux, au lieu d’être des outils de transparence, deviennent des armes de distraction massive, comme le souligne l’économiste Yoro Dia.
L’histoire récente offre plusieurs exemples des dangers d’une politique trop exposée sur les réseaux sociaux. Aux États-Unis, les tweets impulsifs de Donald Trump ont souvent éclipsé les débats de fond, au point de devenir un symbole de son mandat chaotique. En Turquie, Recep Tayyip Erdoğan a utilisé Twitter pour contourner les médias traditionnels, mais au prix d’une polarisation accrue de la société. Au Sénégal, le risque est double : non seulement les querelles en ligne affaiblissent le gouvernement, mais elles alimentent aussi une défiance croissante envers les institutions.
Les réseaux sociaux ne sont pas mauvais en soi. Ils peuvent être des outils de dialogue, de transparence et de mobilisation. Mais quand ils deviennent le principal canal de règlement des conflits politiques, ils menacent la stabilité et la crédibilité du pays. Abass Fall et ses pairs feraient bien de s’en souvenir : gouverner, ce n’est pas accumuler les likes, mais construire des solutions durables.
Le Sénégal mérite mieux qu’une gouvernance par tweets. Il mérite des responsables qui assument leurs désaccords en interne, qui privilégient le débat constructif à l’affrontement spectaculaire, et qui placent l’intérêt national au-dessus des calculs partisans. Sinon, le pays risque de payer cher le prix de ces querelles publiques : une image dégradée, une crédibilité entamée, et une démocratie affaiblie. À l’heure où les défis sont immenses, le Pastef et le gouvernement ont tout intérêt à sortir des tribunes virtuelles pour retrouver le chemin du dialogue et de l’action.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Boubacar Diallo.
Mis en ligne : 08/11/2025
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