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Le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment annoncé, lors de l’installation du Comité de pilotage du Pacte national de stabilité sociale et de croissance inclusive, une baisse prochaine du prix de l’électricité et des produits pétroliers. Ces mesures, présentées comme une réponse aux préoccupations sociales des Sénégalais, soulèvent pourtant des interrogations légitimes. Dans un contexte économique marqué par une dette publique record, une inflation persistante et une forte dépendance aux importations énergétiques, ces promesses relèvent-elles d’une stratégie économique viable ou d’un calcul politique destiné à apaiser les tensions sociales ? Une analyse approfondie des réalités budgétaires et des précédents africains invite à la prudence.
Le Sénégal traverse une période économique délicate. La dette publique a atteint des niveaux alarmants : selon les dernières révisions, elle s’élève à 118,8 % du PIB fin 2024, faisant du pays le plus endetté d’Afrique. Le service de la dette, en constante augmentation, pèse lourdement sur les finances publiques, avec des paiements qui devraient absorber près de 70 % des recettes de l’État en 2026. Parallèlement, l’inflation, bien que modérée en 2025 (autour de 1,8 % en juillet), reste une menace latente, notamment en raison de la dépendance du pays aux importations de produits énergétiques et alimentaires. Dans ce contexte, une baisse des prix de l’énergie, sans réforme structurelle, risque d’aggraver le déficit budgétaire et de compromettre la stabilité macroéconomique.
La dépendance énergétique du Sénégal est un autre défi majeur. Malgré les découvertes récentes de gaz et de pétrole, le pays importe encore une grande partie de ses besoins énergétiques, ce qui le rend vulnérable aux fluctuations des prix internationaux. Les projets de souveraineté énergétique, bien que prometteurs, ne sont pas encore opérationnels à grande échelle, et leur financement dépend en partie de partenariats extérieurs.
Ousmane Sonko évoque un « arbitrage budgétaire rigoureux » pour financer ces baisses, mais sans préciser les sacrifices consentis dans d’autres secteurs. Les 20 milliards FCFA alloués aux logements sociaux, par exemple, semblent dérisoires face aux besoins réels. Surtout, le gouvernement évite soigneusement de détailler comment ces mesures seront financées. Une baisse des prix de l’énergie, si elle n’est pas compensée par une hausse des recettes ou une réduction drastique des dépenses ailleurs, ne peut qu’alourdir un déficit déjà critique.
L’histoire récente montre que les pays africains ayant tenté des baisses artificielles des prix de l’énergie sans réforme structurelle ont souvent payé un lourd tribut. Le Nigeria, par exemple, a vu ses subventions sur l’essence creuser son déficit budgétaire et décourager les investissements dans les énergies renouvelables, tout en profitant surtout aux classes aisées. Au Zimbabwe, des politiques similaires ont conduit à des pénuries chroniques et à une inflation galopante. Ces exemples rappellent que les mesures populistes, si elles soulagent à court terme, peuvent aggraver les déséquilibres économiques à moyen terme.
Au Sénégal, la Senelec, entreprise publique d’électricité, est déjà en difficulté financière en raison de sa mauvaise gouvernance et de ses pertes techniques. Baisser les tarifs sans réformer le secteur reviendrait à traiter les symptômes sans s’attaquer aux causes de la chère vie.
Plusieurs éléments laissent penser que ces annonces relèvent davantage de la communication politique que d’une réelle stratégie économique.
Les promesses de baisse des prix interviennent dans un climat social tendu, où le gouvernement a tout intérêt à regagner la confiance des citoyens. Pourtant, sans plan de financement clair, ces mesures risquent de rester lettre morte ou d’être financées par un endettement supplémentaire, déjà insoutenable.
Le gouvernement n’a pas expliqué comment il compte dégager les marges de manœuvre budgétaires nécessaires. Les « arbitrages rigoureux » évoqués pourraient cacher des coupes sombres dans des secteurs essentiels comme la santé ou l’éducation, ou une nouvelle hausse de la dette.
En maintenant des prix artificiellement bas, le Sénégal pourrait décourager les investissements dans les énergies renouvelables et perpétuer sa dépendance aux importations, alors même que le pays mise sur ses ressources gazières pour assurer sa transition énergétique.
La révélation récente d’une dette cachée, sous-évaluée pendant des années, a ébranlé la crédibilité des institutions sénégalaises. Dans ce contexte, les annonces de Sonko peinent à convaincre, d’autant que le FMI a déjà sanctionné le pays pour des pratiques budgétaires opaques.
Les annonces d’Ousmane Sonko, bien qu’attrayantes sur le papier, soulèvent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. Dans un pays où la dette publique étouffe les finances publiques et où la dépendance énergétique reste un talon d’Achille, une baisse des prix de l’électricité et de l’essence, si elle n’est pas accompagnée de réformes structurelles, pourrait se révéler contre-productive. Plutôt que de miser sur des effets d’annonce, le gouvernement ferait mieux de clarifier ses priorités budgétaires, de réformer en profondeur les secteurs de l’énergie et de la fiscalité, et de s’attaquer aux causes profondes de la chère vie.
Les Sénégalais méritent une politique économique responsable, fondée sur la transparence et la durabilité, et non sur des promesses électorales dont le coût risque d’être supporté par les générations futures. La vraie souveraineté économique ne se décrète pas ; elle se construit par des choix courageux et des réformes ambitieuses. À défaut, ces mesures ne seront qu’un leurre, aggraveront les déséquilibres et reporteront à plus tard les solutions dont le pays a urgemment besoin.
Ne faudrait-il pas exiger du gouvernement une feuille de route détaillée sur le financement de ces baisses, ainsi qu’un calendrier réaliste pour la transition énergétique et la réduction de la dette ? La crédibilité de l’action publique en dépend.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Abdou Seck.
Mis en ligne : 08/11/2025
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