Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »
La récente passe d’armes entre Abass Fall, maire de Dakar, et Abdourahmane Diouf, ministre de l’Environnement, a révélé bien plus qu’une simple querelle de personnes. En affirmant que le président Bassirou Diomaye Faye est « au service de tous les Sénégalais, et non du Pastef uniquement », Diouf a déclenché une tempête politique, se retrouvant au cœur d’une polémique qui interroge : est-il un empêcheur de tourner en rond, un lanceur d’alerte involontaire, ou tout simplement un bouc émissaire sacrifiable pour préserver l’unité d’un parti déjà fissuré ?
Son parcours, ses prises de position passées, et ses déclarations récentes dessinent le portrait d’un homme dont la franchise dérange, au point de cristalliser les tensions internes du pouvoir.
Abdourahmane Diouf n’est pas un nouveau venu en politique. Consultant international, ancien cadre du parti Rewmi d’Idrissa Seck, il a créé son propre parti, Awalé, en 2021, avant de rejoindre la coalition Diomaye Président en 2024. Son intégration au gouvernement, d’abord comme ministre de l’Enseignement supérieur, puis de l’Environnement, a été marquée par des remaniements qui en disent long sur sa position délicate au sein du pouvoir. En effet, son passage à un ministère moins stratégique en septembre 2025 a été interprété par certains comme une mise à l’écart progressive, voire une sanction pour ses prises de position jugées trop indépendantes.
Mais c’est surtout son intervention récente dans l’émission « En Vérité » sur la RSI qui a mis le feu aux poudres. En appelant à une « justice équilibrée » et à la fin des règlements de comptes, il a osé rappeler que le président Faye est « le président de tous les Sénégalais », une évidence qui semble insupportable pour certains barons du Pastef. Abass Fall, en réponse, n’a pas hésité à lui reprocher ses doutes passés sur la candidature de Faye et ses critiques contre le Pastef, notamment dans l’affaire du prétendu attentat de Yarakh, où Diouf avait pointé du doigt des dérives et des accusations hâtives.
Les propos de Diouf sur la « justice des vainqueurs » et la nécessité de réconciliation nationale ont été perçus comme une provocation par les partisans les plus intransigeants du Pastef. Pour eux, toute remise en question de la ligne dure du parti est une trahison. Pourtant, ses appels à l’apaisement et à l’unité ne sont pas dénués de sens : ils reflètent une réalité que beaucoup préfèrent ignorer. Le Sénégal, après des années de tensions politiques, a besoin de stabilité. Mais dans un contexte où le Pastef, fort de sa victoire écrasante aux législatives de 2024, semble vouloir imposer sa loi sans compromis, toute voix dissonante est immédiatement étouffée.
Abass Fall, en qualifiant Diouf de « profitard » et en lui reprochant son ingratitude, ne fait pas que régler un compte personnel. Il envoie un message clair à tous ceux qui oseraient s’écarter de la doxa partisane : la dissidence ne sera pas tolérée. Pourtant, Diouf n’est pas un opposant. Il a soutenu la coalition Diomaye Président et contribué à sa victoire. Son tort ? Avoir rappelé que la justice ne doit pas servir à écarter un citoyen au profit d’un autre, et que la réconciliation nationale passe par le dialogue et non par l’exclusion.
L’histoire politique sénégalaise regorge d’exemples de ministres limogés ou marginalisés pour avoir exprimé des opinions contraires à la ligne officielle. Le cas de Diouf rappelle celui de Sory Kaba, limogé en 2019 pour avoir critiqué un troisième mandat de Macky Sall, ou plus récemment, celui d’Ousmane Diagne, remplacé à la Justice pour des raisons politiques. Dans un parti où l’unité est brandie comme un dogme, toute divergence est perçue comme une menace.
Diouf, avec son parcours et ses prises de position, incarne cette menace. Ses appels à la modération et à l’équilibre dérangent parce qu’ils révèlent les contradictions d’un pouvoir qui, tout en prônant le changement, reproduit les mêmes réflexes autoritaires que ceux qu’il a combattus. En le désignant comme cible, Abass Fall et ses alliés cherchent à détourner l’attention des vrais enjeux : la gestion économique difficile, les divisions internes, et la nécessité de gouverner pour tous les Sénégalais, et non pour une seule famille politique.
La situation n’est pas sans rappeler celle de l’ANC en Afrique du Sud, où les dissensions internes ont affaibli le parti au pouvoir, ou encore celle du Mali, où le limogeage du Premier ministre Choguel Maïga pour des critiques envers les militaires a plongé le pays dans une crise supplémentaire. Dans ces cas, comme aujourd’hui au Sénégal, les querelles internes ont pris le pas sur l’intérêt général, au détriment de la stabilité et de la crédibilité des institutions.
Abdourahmane Diouf paie le prix de sa franchise. Ses déclarations, bien que maladroites pour certains, ont le mérite de poser les bonnes questions : comment concilier justice et réconciliation ? Comment gouverner pour tous quand on est prisonnier des luttes partisanes ? En le discréditant, le Pastef évite de répondre à ces interrogations. Pourtant, c’est bien là que réside le vrai défi du président Faye : transcender les clivages et prouver que son mandat n’est pas celui d’un parti, mais celui d’une nation.
Diouf, en dérangeant, a rendu un service au débat démocratique. Reste à savoir si le pouvoir saura en tirer les leçons, ou s’il préférera sacrifier un ministre pour préserver une unité de façade. Une chose est sûre : tant que les egos primeront sur l’intérêt général, le Sénégal risque de rester prisonnier de ses divisions.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Boubacar Diallo.
Mis en ligne : 22/11/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.





