Dakar en état de siège : Une capitale otage des tensions politiques - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Société | Par Eva | Publié le 23/11/2025 08:11:00

Dakar en état de siège : Une capitale otage des tensions politiques

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Le 8 novembre 2025, Dakar a vécu une journée politique exceptionnelle, marquée par le Térameeting du Pastef et la manifestation interdite du collectif « Niakhtou national ». Pour encadrer ces événements, la Police nationale et la Gendarmerie avaient déployé un dispositif sécuritaire « XXL », mobilisant tous leurs moyens humains et technologiques. Pourtant, derrière le discours officiel sur la nécessité de prévenir tout incident se cachait une réalité bien plus inquiétante : la capitale sénégalaise, habituellement vibrante et dynamique, s’est transformée en une ville sous haute tension, où les citoyens durent justifier leur présence dans l’espace public.

Ce déploiement massif, loin de rassurer, a révélé une dérive sécuritaire qui a menacé le vivre-ensemble, l’économie locale et l’image même du Sénégal, souvent cité en exemple de stabilité démocratique en Afrique.

Depuis plusieurs années, le Sénégal a traversé une crise politique profonde, marquée par des manifestations réprimées dans le sang, des arrestations arbitraires et une polarisation croissante de la société. Les tensions autour des élections présidentielles de 2024, le report controversé du scrutin, la dissolution du Pastef et l’arrestation de ses leaders avaient exacerbé les clivages et alimenté un climat de défiance envers les institutions. Dans ce contexte, chaque rassemblement politique devenait un défi sécuritaire, chaque manifestation un risque de confrontation. Les autorités répondaient systématiquement par la force, au mépris des droits fondamentaux et des libertés publiques. Le dispositif déployé ce samedi-là n’a été que la dernière illustration de cette logique répressive, où la sécurité servait de prétexte à la restriction des libertés et à la militarisation de l’espace public.

Le déploiement décrit par L’Observateur est sans précédent : mobilisation de tous les commissariats de Dakar, intervention des unités spécialisées (GMI, DIC, OCRTIS), utilisation de drones et de systèmes anti-drones, coordination permanente entre police et gendarmerie. Si les autorités affirment vouloir « garantir le déroulement pacifique » des événements, cette stratégie repose en réalité sur la dissuasion et la surveillance de masse. Les sites sensibles, comme le terrain de Sacré-Cœur 3 ou la VDN, sont placés sous étroite surveillance, non pas pour protéger les citoyens, mais pour contrôler et réprimer toute velléité de contestation.

L’originalité de ce dispositif réside dans son caractère technologique et préventif : les drones permettent de suivre en temps réel les mouvements des foules, tandis que les systèmes anti-drones interdisent tout survol non autorisé. Pourtant, cette approche soulève de graves questions : qui contrôle ces outils ? Quelles garanties existe-t-il contre leur détournement à des fins politiques ? La société civile sénégalaise, déjà meurtrie par les violences des années 2021-2024, s’interroge sur les limites de ces mesures et sur leur impact à long terme sur les libertés individuelles.

Les conséquences de ce quadrillage sécuritaire furent immédiates et tangibles. Les commerces fermèrent par crainte des heurts, les transports furent perturbés, et un climat de méfiance généralisée s’installa. Les Dakarois, habitués à une ville ouverte et accueillante, durent composer avec des barrages policiers, des contrôles aléatoires et une présence militaire omniprésente. Les quartiers populaires, déjà marginalisés, furent les premiers touchés : les jeunes, souvent stigmatisés, subirent des contrôles au faciès et des arrestations arbitraires. La vie économique en pâtit : les petits commerçants, les artisans et les travailleurs informels virent leurs revenus chuter, tandis que les investisseurs et les touristes hésitaient à se rendre dans une capitale devenue synonyme d’instabilité.

Les autorités sénégalaises portent une lourde responsabilité dans cette dégradation du vivre-ensemble. En privilégiant la répression à la médiation, en interdisant systématiquement les manifestations de l’opposition, elles alimentent un cercle vicieux de violence et de défiance. Les réunions de préparation organisées en amont, loin d’apaiser les tensions, ne font que confirmer une approche purement sécuritaire, où le dialogue politique est remplacé par la logique du rapport de force. Pourtant, comme le soulignent les ONG et les organisations internationales, la répression ne résout rien : elle exacerbe les frustrations et prépare le terrain pour de nouvelles explosions sociales.

Dakar, souvent présentée comme une vitrine de la démocratie africaine, voit son image gravement ternie. Les partenaires économiques et les touristes, sensibles à la stabilité et à la sécurité, pourraient se détourner d’un pays où les libertés sont bafouées et où les tensions politiques dégénèrent en affrontements violents. Le Sénégal, qui mise sur les Jeux Olympiques de la Jeunesse en 2026 pour renforcer son attractivité, risque de voir ses efforts réduits à néant si la crise persiste. Les conseils aux voyageurs se multiplient, mettant en garde contre les risques de violences et d’arbitraire. À terme, c’est toute l’économie du pays qui pourrait en souffrir, dans un contexte déjà marqué par un ralentissement de la croissance et une hausse des inégalités

La situation dakaroise n’est pas isolée. D’autres capitales africaines, comme Abidjan ou Bamako, ont connu des dérives similaires, où la sécurité a servi de prétexte à la restriction des libertés et à la militarisation de l’espace public. En Côte d’Ivoire, par exemple, les dispositifs sécuritaires massifs ont souvent été suivis de crises politiques et de violences post-électorales. Au Mali, la répression des manifestations a précipité le pays dans une spirale de violence et d’instabilité, conduisant au départ des investisseurs et à l’isolement international. Le Sénégal, jusqu’ici épargné par de telles dérive, semble aujourd’hui emprunter la même voie

Le dispositif sécuritaire déployé à Dakar le 8 novembre 2025 fut bien plus qu’une mesure de précaution : ce fut le symbole d’un État qui, face à la contestation, choisit la force plutôt que le dialogue. En transformant la capitale en une ville sous surveillance, les autorités sacrifièrent les libertés fondamentales sur l’autel d’une sécurité illusoire. Pourtant, la vraie sécurité ne se décrète pas : elle se construit par la confiance, la justice et le respect des droits.

Si rien n’est fait pour inverser cette tendance, Dakar risque de devenir une capitale sous tension permanente, où la peur remplace la liberté, et où l’image d’un Sénégal démocratique et stable ne sera plus qu’un lointain souvenir. Il est encore temps d’agir, en rétablissant le dialogue politique, en garantissant le droit de manifester et en mettant fin à l’impunité des forces de l’ordre. Sinon, le pays tout entier paiera le prix de cette dérive autoritaire.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Diop.
Mis en ligne : 23/11/2025

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