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La visite de travail du Premier ministre mauritanien, Mokhtar Ould Djay, prévue à Dakar du 16 au 18 novembre 2025, a été officiellement reportée « d’un commun accord ». Les médias mauritaniens, comme Cridem.org et Trust Magazine, évoquent une décision prise pour « garantir les conditions nécessaires au bon déroulement de la visite », en raison de la « situation actuelle au Sénégal ». Si la formule est polie, elle sonne creux. Derrière ce langage diplomatique, se cachent probablement des désaccords profonds, une méfiance persistante, et l’incapacité des deux pays à assumer publiquement leurs divergences. Ce report n’est pas anodin : il révèle les limites d’une coopération souvent présentée comme exemplaire, mais en réalité minée par des contentieux non résolus et un manque de transparence inquiétant.
Les relations entre le Sénégal et la Mauritanie ont toujours été marquées par une ambivalence. D’un côté, des déclarations d’amitié et des projets communs ambitieux, comme le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) ou le pont de Rosso. De l’autre, une histoire jalonnée de tensions frontalières, de rivalités économiques et de méfiance réciproque. La visite d’Ousmane Sonko en Mauritanie, il y a quelques mois, avait été saluée comme un nouveau départ. Pourtant, les réalisations concrètes peinent à suivre. Le report de la visite de Mokhtar Ould Djay s’inscrit dans cette tradition de promesses non tenues et de reculs diplomatiques. Il intervient dans un contexte sénégalais marqué par des crises politiques et sociales récurrentes, mais aussi par des désaccords persistants sur la gestion des ressources communes, notamment le GTA, dont l’exploitation divise plus qu’elle ne rassemble.
Ce report n’est pas un simple contretemps. Il s’ajoute à une liste de projets bloqués ou retardés, comme le pont de Rosso, dont l’ouverture est sans cesse repoussée. Pourtant, les deux gouvernements continuent de vanter une « coordination politique et économique » sans faille. Une rhétorique qui contraste avec la réalité : celle d’une coopération en demi-teinte, où les intérêts nationaux priment souvent sur les engagements régionaux.
L’expression « d’un commun accord » est un classique de la diplomatie. Elle permet d’éviter d’avouer des désaccords ou des crises, tout en sauvant les apparences. Pourtant, les raisons invoquées la « situation actuelle au Sénégal » sont trop vagues pour être convaincantes. Si la stabilité du Sénégal était vraiment en cause, pourquoi ne pas l’avoir dit clairement ? Pourquoi ne pas avoir annoncé une nouvelle date, ne serait-ce que symbolique, pour rassurer les partenaires et les investisseurs ?
La réponse est simple : parce que le vrai problème n’est pas la situation interne du Sénégal, mais l’incapacité des deux pays à surmonter leurs divergences. La gestion du GTA, par exemple, est un sujet de friction permanent. Les retards dans sa mise en œuvre, les querelles sur la répartition des revenus, et les suspicions de favoritisme de part et d’autre en font un dossier explosif. De même, les contentieux frontaliers, bien que moins médiatisés, restent une source de tensions latentes. Dans ce contexte, le report de la visite n’est pas une mesure de prudence, mais un aveu d’échec : les deux gouvernements préfèrent reporter plutôt que de risquer un dialogue de sourds en public.
Ce manque de transparence est d’autant plus problématique qu’il s’inscrit dans une série de reculs diplomatiques. En 2023, un différend sur les quotas de pêche avait failli dégénérer en crise ouverte. En 2024, des désaccords sur la gestion des frontières avaient déjà conduit à l’annulation de plusieurs rencontres bilatérales. Chaque fois, les deux pays ont invoqué des « raisons techniques » ou des « imprévus ». Chaque fois, la réalité était bien plus politique.
Le pont de Rosso est emblématique de cette hypocrisie. Annoncé comme un symbole de l’intégration régionale, son chantier accumule les retards. Initialement prévu pour 2024, son ouverture est désormais repoussée à juillet 2026. Les raisons officielles ? Des « contraintes techniques ». Les raisons officieuses ? Des désaccords sur son financement et sa gestion, ainsi qu’un manque de volonté politique des deux côtés.
Le Gisement GTA est un autre exemple. Présenté comme un modèle de coopération africaine, il est en réalité un terrain de rivalités. Les retards dans son exploitation, les querelles sur la répartition des bénéfices, et les suspicions de corruption sapent la confiance entre les deux pays. Pourtant, aucun responsable n’ose l’avouer publiquement. On préfère reporter les visites officielles, plutôt que de reconnaître que le partenariat est en difficulté.
Ce report s’inscrit donc dans une logique bien établie : celle du « faire semblant ». Plutôt que d’affronter les problèmes, on les enterre sous des communiqués diplomatiques creux. Plutôt que de trouver des solutions, on repousse les échéances. Une attitude qui, à long terme, ne peut que nuire à la crédibilité des deux pays.
Cette situation n’est pas unique. En Afrique de l’Ouest, les exemples de coopérations avortées ou de projets bloqués par des désaccords non assumés sont légion. Prenez le cas du Nigeria et du Bénin : malgré des décennies de discours sur l’intégration régionale, les tensions commerciales et frontalières persistent, et les projets communs peinent à aboutir. Ou celui de la Côte d’Ivoire et du Ghana, où les rivalités dans le secteur du cacao ont souvent pris le pas sur la coopération.
Dans tous ces cas, le même scénario se répète : des déclarations d’intention suivies de peu d’actions, des reports successifs, et une diplomatie qui préfère le flou à la franchise. Le Sénégal et la Mauritanie ne font pas exception. Leur incapacité à assumer leurs divergences est un mauvais signal, non seulement pour leurs populations, mais aussi pour les partenaires étrangers. Comment croire en la stabilité de la région, si deux pays voisins ne parviennent pas à gérer leurs relations de manière transparente ?
Le report de la visite de Mokhtar Ould Djay à Dakar est bien plus qu’un simple contretemps. C’est le symptôme d’une diplomatie africaine trop souvent prisonnière des non-dits et des calculs politiques. Plutôt que de se cacher derrière des formules creuses, les deux gouvernements feraient mieux d’assumer leurs désaccords et de travailler à les résoudre. La coopération régionale ne se décrète pas, elle se construit dans la transparence et la franchise.
Si le Sénégal et la Mauritanie veulent vraiment renforcer leurs liens, ils doivent cesser de jouer la comédie. Il est temps de passer des discours aux actes, et de montrer que leur partenariat est plus fort que leurs divergences. Sinon, chaque report, chaque projet bloqué, chaque communiqué évasif ne fera que confirmer une chose : leur coopération n’est qu’une façade, derrière laquelle se cachent des tensions bien réelles.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Pape Gueye.
Mis en ligne : 02/12/2025
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