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La mort de Pape Diop, chauffeur du bus Tata incendié à Yarakh en 2023, n’est pas seulement une tragédie personnelle. Elle est le symbole d’un abandon institutionnel. Après avoir survécu à un acte criminel qui avait ému le pays, Pape Diop est décédé dans la précarité, sans soutien, sans justice, et sans l’accompagnement promis par les autorités. Son histoire pose une question glaçante : que vaut la vie d’un citoyen ordinaire quand l’État se contente de promesses creuses et de communication de crise ?
En 2023, l’incendie criminel d’un bus à Yarakh avait choqué le Sénégal. Deux morts, plusieurs blessés, et un chauffeur, Pape Diop, grièvement brûlé. Son témoignage, relayé par les médias, avait permis d’apaiser temporairement la colère sociale. Mais une fois les caméras éteintes, Pape Diop a été oublié. Malgré des brûlures et un état de santé dégradé, il n’a reçu aucune aide concrète. Son cousin, Matar Gadiaga, a confié à SourceA que Pape Diop, orphelin et seul soutien de sa famille, avait rencontré le ministre de l’Intérieur, mais n’avait jamais bénéficié d’un suivi médical ou financier. Il est mort seul, dans la misère, alors que l’enquête sur le drame traîne encore, plus d’un an après les faits.
Pape Diop n’est pas mort de ses brûlures. Il est mort de l’abandon. Son cas illustre un schéma récurrent : les victimes de violences collectives sont instrumentalisées pour calmer l’opinion, puis laissées à leur sort. Les promesses d’aide, les déclarations solennelles, les rencontres médiatiques ne servent qu’à donner l’illusion d’une action publique. Une fois l’émotion retombée, les victimes retournent à leur solitude, sans ressources, sans soins, sans justice.
Au Sénégal, ce phénomène n’est pas isolé. Les victimes de la répression des manifestations de 2021-2024 ont attendu des années avant de recevoir une aide financière dérisoire, et encore, seulement après des pressions internationales et des rapports accablants d’Amnesty International. L’État a même voté une loi d’amnistie pour les forces de sécurité, privant les victimes de toute chance de justice. Comme le souligne Amnesty, « l’aide financière versée en 2024 à certaines des victimes de détention et annoncée en 2025 aux familles de personnes tuées lors des manifestations est un premier pas. Cependant, elle ne répond pas à leur besoin de justice, ni ne constitue une garantie que de tels événements ne se reproduisent pas ».
Pape Diop a été exposé devant les caméras pour rassurer la population. Mais une fois son rôle joué, il a été abandonné. Ce traitement révèle une stratégie cynique : utiliser les victimes pour désamorcer les crises, sans assumer la responsabilité de les soutenir sur le long terme. Quel message envoie-t-on aux citoyens quand on les met en avant pour mieux les oublier ensuite ?
Les victimes de violences collectives ont besoin d’un accompagnement médical, psychologique et social. Pourtant, au Sénégal, les structures de prise en charge sont quasi inexistantes ou sous-financées. Les centres d’accueil pour victimes de violences, quand ils existent, dépendent souvent d’ONG ou de dons privés. L’État, lui, brille par son absence. Les « boutiques de droit » et les rares centres spécialisés ne suffisent pas à combler le vide laissé par les institutions.
Plus d’un an après l’incendie de Yarakh, l’enquête n’est toujours pas bouclée. Cette lenteur n’est pas un hasard : elle protège les responsables et décourage les victimes. En Afrique de l’Ouest, les disparitions forcées et les violences d’État restent souvent impunies, faute de volonté politique. Au Sénégal, les victimes de violences sexuelles, politiques ou collectives attendent des années avant d’obtenir réparation, quand elles l’obtiennent.
Pape Diop était orphelin, père de famille, et seul pourvoyeur. Sa survie dépendait de sa capacité à travailler. Après le drame, son incapacité à reprendre une activité l’a plongé dans une spirale de détresse. Dans un pays où les filets sociaux sont défaillants, comment survivre quand on est à la fois victime et seul soutien de sa famille ? L’État, en ne lui apportant aucune aide, a signé son arrêt de mort.
La situation n’est pas meilleure ailleurs en Afrique de l’Ouest. En République démocratique du Congo, les victimes de violences sexuelles sont abandonnées faute de financements et de structures adaptées. Médecins Sans Frontières alerte sur le nombre alarmant de survivantes laissées sans soins, en raison de ruptures de stocks et de désengagement international. Au Burkina Faso, au Mali, ou en Guinée, les victimes de répression ou de conflits sont souvent livrées à elles-mêmes, malgré les conventions internationales ratifiées par ces pays.
La mort de Pape Diop est un scandale d’État. Elle révèle l’hypocrisie d’un système qui pleure ses morts en public, mais les abandonne en privé. Les victimes de violences collectives ne demandent pas la charité : elles réclament justice, réparation, et dignité. Tant que l’État continuera à les instrumentaliser puis à les oublier, il enverra un message clair : la vie des citoyens ordinaires ne compte que lorsqu’elle sert un intérêt politique.
Il faut briser ce cycle. Les promesses ne suffisent plus. Il faut des actes : des centres de prise en charge accessibles, des enquêtes rapides et transparentes, et des réparations concrètes. Sinon, d’autres Pape Diop mourront, et leur sang pèsera sur la conscience de ceux qui les ont trahis.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Laye Seck.
Mis en ligne : 04/12/2025
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