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Récemment, Souhibou Telecom a pris la parole pour défendre publiquement son employé, Mbaye, accusé d’attouchements sur sa propre fille. Dans une vidéo largement diffusée, il affirme : « Qui me connaît sait pertinemment que je protège mes enfants bec et ongles. Mbaye fait partie de ma famille, je le considère comme le deuxième papa de ma fille Fatima. » Il ajoute que si Mbaye avait eu de mauvaises intentions, les faits ne se seraient pas produits « en live ».
Cette déclaration, loin d’apaiser les tensions, soulève une question fondamentale : en minimisant ainsi les accusations, Souhibou Telecom ne participe-t-il pas à une culture de l’impunité qui décourage les victimes de parler ?
Les violences sexuelles sur mineurs restent un fléau persistant au Sénégal. Selon les statistiques de l’Association des juristes sénégalaises (AJS), 166 cas de violences sexuelles ont été répertoriés en 2023 dans six zones d’intervention, avec une concentration inquiétante dans des communes comme Pikine et Médina. Pourtant, malgré la loi de 2020 criminalisant le viol et la pédophilie, l’objectif dissuasif n’est pas atteint : les victimes peinent à se faire entendre, et les auteurs bénéficient trop souvent d’une impunité de fait. Dans ce contexte, chaque parole publique compte, et celles qui minimisent les accusations peuvent aggraver la méfiance envers les institutions et décourager les signalements.
Souhibou Telecom utilise deux arguments principaux pour disculper Mbaye : la proximité familiale (« deuxième papa ») et l’absence de discrétion (« en live »). Or, ces arguments sont profondément discutables.
Invoquer une relation de confiance pour écarter les soupçons est une stratégie classique de manipulation. Les abus sexuels sont souvent commis par des proches, et c’est précisément cette proximité qui permet à l’agresseur d’agir en toute impunité. Au Sénégal, comme ailleurs, de nombreux cas d’abus intrafamiliaux ou commis par des figures d’autorité (enseignants, employeurs) ont été documentés. Présenter Mbaye comme un « deuxième papa » ne garantit en rien son innocence ; au contraire, cela rappelle les mécanismes de l’emprise et de la confusion des rôles, souvent exploités par les agresseurs.
Affirmer qu’un acte commis en direct ne peut être malveillant est une erreur grossière. Les abus peuvent survenir dans des contextes inattendus, y compris sous les yeux de tous, surtout lorsque l’agresseur joue sur la normalisation de ses gestes ou la sidération de la victime. Des exemples internationaux, comme les scandales d’abus commis par des Casques bleus de l’ONU ou des membres du clergé, montrent que la visibilité ne protège pas toujours les victimes. En Centrafrique, par exemple, des soldats en mission de paix ont commis des abus en public, profitant de leur position de pouvoir et de la vulnérabilité de leurs cibles.
En prenant parti pour Mbaye sans attendre les résultats d’une enquête, Souhibou Telecom envoie un signal désastreux : la parole de l’accusé, surtout s’il est proche ou influent, primerait sur celle de la victime. Dans une société où les violences sexuelles sont déjà sous-déclarées par peur du stigma ou des représailles, une telle prise de position ne peut qu’aggraver le silence.
Au Sénégal, les normes sociales et le manque de sensibilisation favorisent déjà l’impunité des agresseurs et la stigmatisation des victimes. Une déclaration publique aussi tranchée risque de décourager d’autres victimes de briser le silence.
Les agresseurs savent souvent créer un climat de confiance pour agir. Minimiser les accusations sous prétexte de proximité ou de contexte revient à nier la complexité des dynamiques abusives.
En se substituant aux institutions, Souhibou Telecom contribue à sapper la crédibilité des procédures judiciaires, pourtant essentielles pour protéger les mineurs.
Dans d’autres pays, des affaires similaires ont montré les conséquences dramatiques de la minimisation des accusations. En Belgique, l’Église catholique a longtemps étouffé les plaintes pour abus sexuels, avant que des scandales ne forcent une remise en question tardive. Aux États-Unis, des affaires comme celle de Larry Nassar (médecin accusé d’abus sur des gymnastes) ont révélé comment des figures respectées peuvent manipuler l’opinion pour se protéger. Ces exemples rappellent que la présomption d’innocence ne doit pas servir à discréditer les victimes, mais à garantir une enquête impartiale.
Souhibou Telecom a le droit de soutenir son employé, mais il a aussi une responsabilité envers la société. En minimisant les accusations, il risque de contribuer à un climat où les victimes n’osent plus parler, et où les agresseurs agissent en toute impunité. La lutte contre les violences sexuelles passe par la prise au sérieux de chaque allégation, la protection des victimes, et la confiance dans la justice. En tant que figure publique, son devoir est d’encourager la transparence, pas de brouiller les pistes.
Dans un pays où les violences sexuelles restent trop souvent tuées dans l’œuf, qui osera encore porter plainte si les puissants prennent systématiquement la défense des accusés ? La réponse dépendra de notre capacité collective à placer la protection des enfants au-dessus de toute autre considération.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Eve Sagna.
Mis en ligne : 09/12/2025
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