La précipitation des jugements : Quand l’émotion remplace la raison - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Société | Par Eva | Publié le 11/12/2025 02:12:15

La précipitation des jugements : Quand l’émotion remplace la raison

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Dans une société où l’indignation est devenue une monnaie d’échange, qui prend encore le temps d’écouter avant de juger ? L’affaire Nogaye Thiam, jeune femme de 25 ans retrouvée sans vie dans sa chambre deux jours après son décès, révèle une fois de plus notre propension à condamner sans connaître, à accuser sans comprendre. Dès l’annonce du drame, les réseaux sociaux et l’opinion publique se sont emparés de l’histoire, pointant du doigt la belle-famille, accusée de négligence, voire de pire.

Pourtant, la belle-mère de Nogaye a tenu à s’expliquer : elle n’a jamais soupçonné la présence de la jeune femme dans la chambre, pensant qu’elle était partie comme à son habitude, et aucun signe inquiétant n’a été perçu dans la maison. « Ceux qui parlent ne savent pas », a-t-elle insisté, dénonçant des jugements trop hâtifs alors que l’enquête n’a pas encore déterminé les circonstances exactes du décès.

Nogaye Thiam, mère d’un enfant d’un an et demi, vivait au sein de sa belle-famille à Yoff. Son père, Samba Thiam, a évoqué un mariage difficile, marqué par des conflits et un isolement profond. Mais il a aussi exclu toute intention criminelle, soulignant la fragilité cardiaque de sa fille comme une piste possible pour expliquer sa mort. Malgré ces éléments, l’émotion collective a rapidement pris le pas sur la raison, transformant une tragédie familiale en procès public. Les associations féministes ont déposé plainte, exigeant une enquête judiciaire, tandis que les réseaux sociaux se sont enflammés, relayant des accusations sans preuve.

Ce qui frappe dans cette affaire, c’est le déséquilibre entre l’indignation immédiate et la réalité des faits. La belle-mère, comme elle l’a expliqué, avait un rythme de vie qui ne lui permettait pas de surveiller en permanence les allées et venues de Nogaye. Une absence de signes visibles ne signifie pas une absence de souffrance, mais ne prouve pas non plus une négligence volontaire. Pourtant, la société semble avoir déjà rendu son verdict : la famille est coupable, point final. Cette précipitation à juger n’est pas nouvelle. Au Sénégal, comme ailleurs, les affaires familiales deviennent rapidement des sujets de spéculations et de condamnations médiatiques, souvent au mépris de la présomption d’innocence.

Les réseaux sociaux, en particulier, amplifient ce phénomène. Ils transforment des drames humains en spectacles, où chacun se sent légitime pour donner son avis, souvent sans connaître les détails ou les contraintes réelles des personnes impliquées. Comme le souligne Salla Gueye, « les petites querelles familiales ou les ruptures amoureuses deviennent une source intarissable de divertissement pour une masse de spectateurs avides de sensationnel ». Dans le cas de Nogaye, l’absence de vigilance apparente a été interprétée comme une preuve de culpabilité, alors qu’elle pourrait tout aussi bien refléter les limites de la vie quotidienne, où chacun est absorbé par ses propres responsabilités.

Premièrement, les apparences trompent. Une maison où l’on ne perçoit pas de pleurs ou de signes de détresse n’est pas forcément un lieu de négligence. Nogaye, décrite comme une personne travailleuse et indépendante, pouvait très bien avoir des habitudes qui ne suscitaient pas d’inquiétude immédiate. Deuxièmement, la présomption d’innocence est un principe fondamental, trop souvent bafoué. Au Sénégal, des affaires récentes ont montré à quel point la condamnation publique peut devancer la justice, avec des conséquences dévastatrices pour les personnes accusées à tort. Enfin, diaboliser les familles sans les connaître est une injustice. La belle-mère de Nogaye, comme beaucoup d’autres dans des situations similaires, est désormais stigmatisée, alors qu’elle aussi est une victime de ce drame.

L’affaire Nogaye Thiam n’est pas isolée. D’autres cas, comme celui de Mariam Cissé au Mali ou des affaires judiciaires sénégalaises récentes, ont montré comment l’opinion publique se transforme en tribunal, condamnant avant même que les faits ne soient établis. Ces exemples rappellent l’importance de laisser la justice faire son travail, sans se substituer à elle par des jugements hâtifs.

L’affaire Nogaye Thiam doit nous interroger sur notre rapport à l’information et à la justice. Plutôt que de céder à l’émotion, prenons le temps d’écouter, de comprendre, et surtout, de respecter la présomption d’innocence. La vraie question n’est pas de savoir qui est coupable, mais comment éviter que l’indignation ne remplace la raison. La famille de Nogaye mérite la vérité, mais elle mérite aussi d’être jugée sur des faits, et non sur des spéculations. En attendant les conclusions de l’enquête, gardons-nous de condamner sans savoir. Car dans une société où l’on juge trop vite, c’est la justice elle-même qui est en danger.

La compassion n’est pas une faiblesse, c’est un rempart contre la barbarie des jugements hâtifs.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Lamine Ba.
Mis en ligne : 11/12/2025

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