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Une vidéo de quelques secondes, diffusée massivement sur les réseaux sociaux, a suffi à déclencher un tollé contre la directrice du Théâtre National Daniel Sorano. On y voit une altercation verbale entre elle et une vendeuse d’un restaurant installé dans l’enceinte du théâtre, des propos jugés « humiliants » par de nombreux internautes. Si la scène est indéniablement choquante, elle ne doit pas occulter une réalité plus complexe : une vidéo hors contexte, amplifiée par les algorithmes et les émotions, ne saurait résumer une carrière, une personnalité, ou les dynamiques à l’œuvre dans une institution culturelle majeure.
Plutôt que de condamner sans appel, il est urgent de questionner la justice médiatique et l’effet déformant des réseaux sociaux, qui transforment un instant de colère en procès public, souvent au mépris de la nuance et de la présomption de bonne foi.
Le Théâtre National Daniel Sorano n’est pas un établissement comme les autres. Symbole de la vitalité culturelle sénégalaise, il porte une mission exigeante : démocratiser l’accès à l’art, innover, et représenter le Sénégal sur la scène internationale. Depuis sa création, il a su se réinventer, notamment après la pandémie, en proposant des initiatives audacieuses comme « Sorano Chez-Vous » ou « Sorano à l’École », pour toucher tous les publics. Diriger une telle institution, c’est gérer des budgets serrés, des attentes contradictoires, et une pression constante pour concilier excellence artistique et accessibilité. Dans ce contexte, les tensions sont inévitables, et les responsables, souvent isolés, assument une charge mentale et émotionnelle rarement évoquée.
La vidéo incriminée, relayée par SenTV et massivement partagée, capture un moment de crise, mais pas sa genèse. Qui peut affirmer connaître les antécédents de ce conflit, les enjeux personnels ou professionnels qui ont pu mener à cet éclatement ? Pourtant, en quelques heures, la toile a jugé, condamné, et parfois insulté à son tour, sans autre preuve que ces images tronquées.
Les réseaux sociaux ont ce pouvoir : ils transforment un incident en phénomène de masse, en quelques clics. Une étude récente rappelle que « une vidéo virale peut démolir une réputation bâtie en des années », surtout lorsque l’émotion prime sur l’analyse. Les mécanismes sont connus : un contenu clivant, une légende sarcastique, et l’algorithme s’emballe. La vérité, la complexité des faits, importent moins que le nombre de partages ou de réactions. Au Sénégal, où les plateformes comme Facebook et Twitter jouent un rôle central dans la diffusion de l’information, les campagnes virales peuvent même influencer l’opinion publique et pousser à des réactions disproportionnées, voire à des décisions politiques.
Dans le cas de la directrice du Sorano, la vidéo a été reprise et commentée comme une preuve de son incompétence ou de son manque de respect, sans que personne ne s’interroge sur ce qui a pu précéder cette altercation. Les médias, sous pression pour alimenter le flux continu d’actualités, amplifient souvent ces récits simplistes, au risque de construire une réalité biaisée. Pourtant, comme le souligne l’observatoire Limedia, une information virale peut rapidement se mêler à des infox ou à des détournements, surtout lorsque l’émotion est forte.
Une vidéo de quelques secondes ne peut résumer une situation. Elle ignore les circonstances, les provocations éventuelles, ou les tensions accumulées. Dans le monde professionnel, surtout dans le secteur culturel, les conflits sont rarement unilatéraux. Pourquoi accorder plus de crédit à une séquence filmée qu’à des années de travail et d’engagement pour la culture ?
Condamner une personne sur la base d’une vidéo, c’est accepter que la justice soit rendue par les réseaux sociaux, sans droit à la défense ni à l’explication. Cette logique est dangereuse : elle encourage la dénonciation publique et discrédite toute possibilité de réparation ou de dialogue. Les exemples sont nombreux, au Sénégal comme ailleurs, où des individus ont vu leur vie bouleversée par un bad buzz, parfois sur la base d’images manipulées ou sorties de leur contexte.
Les médias sénégalais, confrontés à une concurrence féroce et à la nécessité de capter l’attention, jouent un rôle ambigu. Certains, comme Seneweb, tentent de concilier rapidité et respect de la présomption d’innocence, mais la tentation du sensationnalisme reste forte. La responsabilité des journalistes est immense : ils peuvent choisir d’attiser la polémique ou, au contraire, d’éclairer le public sur les enjeux réels.
Dans une société où chacun peut devenir juge, il est plus que jamais nécessaire de rappeler que toute personne mérite d’être entendue avant d’être condamnée. La directrice du Sorano, comme tout un chacun, a droit à une erreur, à une explication, et surtout à ne pas être réduite à un instant de faiblesse.
Des affaires similaires, au Sénégal ou à l’international, montrent que les vidéos virales sont rarement ce qu’elles semblent être. En 2025, une marque française a vu sa réputation s’effondrer après la diffusion d’une vidéo montrant un employé en colère. L’enquête a ensuite révélé que la scène avait été provoquée et montée de toutes pièces. Pourtant, les dégâts étaient déjà irréparables. Au Sénégal, des influenceurs ou des journalistes ont eux-mêmes été victimes de campagnes de dénigrement, rappelant que personne n’est à l’abri d’un procès expéditif.
Ces exemples soulignent l’importance de prendre du recul, de vérifier les faits, et de résister à la tentation du jugement hâtif. Ils invitent aussi à repenser notre rapport à l’information : et si, avant de partager une vidéo, nous nous demandions ce qu’elle ne montre pas ?
La scène filmée au Théâtre Sorano est regrettable, mais elle ne doit pas servir de prétexte à un lynchage médiatique. La directrice, comme toute personne en position de responsabilité, peut commettre des erreurs. Plutôt que de l’accabler, pourquoi ne pas en faire une opportunité pour discuter des pressions qui pèsent sur les responsables culturels, des mécanismes de la viralité, et des risques de la justice rendue par les réseaux sociaux ?
La culture, c’est aussi l’art de la complexité, du débat, et de l’empathie. Le Théâtre Sorano, lieu de création et de rencontre, mérite mieux qu’un procès en sorcellerie. Et si, au lieu de condamner, nous choisissions d’écouter, de comprendre, et de construire ensemble des solutions pour éviter que de tels incidents ne se reproduisent ? La viralité passe, mais les réputations, elles, se reconstruisent difficilement. À nous de décider quel monde nous voulons : celui de la condamnation sans appel, ou celui de la mesure et du dialogue.
Et vous, chers lecteurs, comment gérez-vous l’information que vous partagez ? Prenez-vous le temps de vérifier, de contextualiser, avant de contribuer à la viralité ? Le débat est ouvert.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Anonyme.
Mis en ligne : 15/12/2025
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