Les récentes déclarations du Front pour la défense de la démocratie et de la République (FDR) ont alimenté le débat politique sénégalais. Dans un communiqué largement relayé par la presse, les responsables du FDR réclament ni plus ni moins la démission du Premier ministre Ousmane Sonko. Ils lui reprochent des propos jugés menaçants, une attitude qu’ils qualifient d’autoritaire, et rappellent son passé judiciaire. Mais à lire ce texte, une question dérangeante surgit : pourquoi cette indignation aujourd’hui, et ce silence assourdissant hier, lorsque Sonko faisait face à une injustice manifeste ?
Ousmane Sonko n’est pas un homme politique ordinaire. Son parcours est intimement lié à une longue série de persécutions politiques, d’injustices criantes et d’un acharnement judiciaire que peu de voix se sont levées pour dénoncer à l’époque. Quand il était traîné dans la boue, arrêté sans mandat clair, disqualifié pour des motifs politiques déguisés en affaires judiciaires, nombreux sont ceux qui se taisaient, voire se réjouissaient. Aujourd’hui qu’il est au pouvoir, il devient soudainement un « danger pour la République » ? L’indignation est légitime, mais elle devient sélective lorsqu’elle oublie les abus passés.
Le FDR dénonce des « propos violents, intimidants, stigmatisants ». Certes, certaines déclarations d’Ousmane Sonko peuvent heurter par leur tonalité. Mais réduire l’ensemble de son action politique à cela relève d’une volonté de décrédibilisation plutôt que d’une critique objective. En réalité, ce ton direct fait écho à une frustration accumulée, à des années de marginalisation et à un système qui a longtemps refusé de l’entendre.
Par ailleurs, faire de sa condamnation judiciaire un argument pour exiger sa démission est étonnant, voire hypocrite, dans un pays où plusieurs responsables politiques, même condamnés pour détournement de fonds publics, ont continué à exercer des responsabilités sans que cela ne soulève autant de rigueur morale.
L’accusation selon laquelle Sonko « voudrait effacer les voix critiques » ignore une réalité fondamentale : sous les anciens régimes, la presse critique était traquée, les opposants exilés ou emprisonnés. Aujourd’hui, la presse continue d’émettre des opinions diverses, parfois virulentes contre le gouvernement, sans être systématiquement réprimée. En outre, le Premier ministre n’a pas les pleins pouvoirs, ce que certains feignent d’ignorer et ses positions publiques ne se traduisent pas nécessairement en actes liberticides.
Quant au plan de redressement économique présenté par le gouvernement, il est jugé précipité par le FDR. Mais n’est-ce pas plutôt une nécessité urgente face à l’héritage économique désastreux laissé par les prédécesseurs ? Il est aisé de critiquer, moins évident de proposer des alternatives viables.
Dans plusieurs pays africains, comme en Afrique du Sud ou au Kenya, des figures politiques jadis traquées par le pouvoir ont exprimé leur ressentiment une fois arrivées au sommet de l’État. Nelson Mandela lui-même, tout en prônant la réconciliation, n’a jamais nié la violence de ce qu’il avait subi. Faut-il alors exiger d’un homme comme Sonko, qui sort à peine de l’épreuve, une neutralité froide et technocratique dès les premiers mois de fonction ?
Loin de défendre inconditionnellement les propos ou les attitudes du Premier ministre, cet article appelle à une réflexion plus honnête sur notre rapport à la justice, à la mémoire et à l’éthique politique. On ne peut condamner aujourd’hui ce qu’on a toléré, voire encouragé, hier. Le débat démocratique ne peut être à géométrie variable. L’exigence doit être constante, pour tous. Ousmane Sonko peut et doit être critiqué. Mais cette critique perd toute valeur si elle oublie les humiliations qu’il a subies et les silences complices qui les ont entourées.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Moustapha Thiaw.
Mis en ligne : 07/07/2025
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