Quand le jihad se transmet de père en fils : Une filiation maudite - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Afrique | Par Eva | Publié le 26/08/2025 01:08:00

Quand le jihad se transmet de père en fils : Une filiation maudite

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L’arrestation au Tchad de Muslim Mohammed Yusuf, fils cadet du fondateur de Boko Haram, pourrait sembler une victoire symbolique dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest. Selon l’AFP, ce jeune homme de 18 ans, soupçonné d’animer une cellule liée à l’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap), incarne pourtant une réalité bien plus inquiétante : la transmission intergénérationnelle de la violence extrémiste.

Derrière ce fait divers se cache l’échec cuisant des États et des sociétés à briser le cycle de la radicalisation. Plutôt qu’une avancée, cette arrestation révèle l’incapacité collective à éradiquer les racines du mal pauvreté, exclusion et absence de perspectives pour des milliers de jeunes Africains. La répression seule ne suffira jamais. Il faut reconnaître que la lutte contre le terrorisme passe d’abord par l’éducation, la justice sociale et la réinsertion.

Un terreau fertile pour l’extrémisme Boko Haram, né dans le nord-est du Nigeria au début des années 2000 sous l’impulsion de Mohammed Yusuf, a prospéré sur un terreau de misère et de marginalisation. Le groupe, dont le nom signifie « l’éducation occidentale est un péché », a recruté massivement parmi les jeunes désœuvrés, leur offrant une idéologie de substitution et un sentiment d’appartenance. Après la mort de son fondateur en 2009, le mouvement s’est fragmenté, donnant naissance à des factions encore plus violentes, comme l’Iswap, dirigée aujourd’hui par un autre fils de Yusuf, Abu Musab El Barnawi. Muslim Mohammed Yusuf, arrêté avec cinq complices, n’est que le dernier maillon d’une chaîne de violence qui semble sans fin.

Son parcours est édifiant : né dans un contexte de guerre, élevé dans l’ombre d’un père mythifié par la propagande jihadiste, il n’a jamais connu autre chose que la radicalisation. Comment un enfant, marqué dès sa naissance par l’héritage sanglant de son père, pourrait-il échapper à ce destin ? La réponse réside moins dans sa responsabilité individuelle que dans celle des sociétés et des États qui, année après année, ont laissé pourrir les conditions favorisant l’embrigadement.

L’échec d’un système L’arrestation de Muslim Yusuf, survenue il y a « plusieurs mois » mais révélée seulement aujourd’hui, soulève une question cruciale : pourquoi les programmes de déradicalisation et de prévention brillent-ils par leur absence ? Les États de la région, soutenus par des partenaires internationaux, misent presque exclusivement sur la force militaire. Pourtant, les prisons surpeuplées et les opérations ponctuelles ne font qu’alimenter le ressentiment et la radicalisation.

Au Nigeria, au Tchad ou au Cameroun, les jeunes comme Muslim Yusuf grandissent dans des régions où l’État est souvent perçu comme un ennemi, où les écoles manquent cruellement, et où les opportunités économiques sont quasi inexistantes. Dans ce vide, les groupes jihadistes offrent une alternative : un salaire, un statut, une « cause ». La répression, aussi nécessaire soit-elle, ne traite que les symptômes. Elle ne répond pas à la question fondamentale : que propose-t-on à ces jeunes pour les détourner de la violence ?

Les rares initiatives de réinsertion, comme le programme « Operation Safe Corridor » au Nigeria, restent marginales et sous-financées. Pire, elles sont souvent perçues comme des leurres par des populations qui ne voient aucune amélioration concrète de leurs conditions de vie. Sans éducation de qualité, sans emplois, sans justice, comment espérer tarir le recrutement des terroristes ?

Muslim Yusuf n’a que 18 ans, mais il porte déjà le poids d’un nom et d’une histoire. Son père, Mohammed Yusuf, a été tué en 2009 lors d’une opération militaire controversée, devenant un martyr pour ses partisans. Dans un contexte où la mémoire collective est marquée par les exactions des armées et l’impunité des élites, la radicalisation devient une forme de résistance, voire de vengeance. Les enfants de jihadistes, stigmatisés et rejetés, sont des proies faciles pour les recruteurs. Leur radicalisation n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un abandon programmé.

Les budgets consacrés à la sécurité dans la région dépassent largement ceux alloués à l’éducation ou au développement. Pourtant, des études montrent que chaque année supplémentaire de scolarisation réduit significativement le risque de recrutement par des groupes armés. Où sont les investissements massifs dans les écoles, les centres de formation professionnelle, les infrastructures de base ? Où sont les programmes visant à réintégrer les anciens combattants et leurs familles ? La réponse est accablante : ils n’existent pas, ou ne concernent qu’une infime minorité.

Chaque arrestation ou élimination d’un chef terroriste est présentée comme une avancée. Pourtant, l’histoire de Boko Haram prouve que ces « succès » sont éphémères. En 2016, la scission entre l’Iswap et la faction d’Abubakar Shekau a montré que les groupes jihadistes savent se recomposer. Tant que les causes profondes corruption, inégalités, gouvernance défaillante ne seront pas traitées, de nouveaux « fils de » émergeront.

Les pays occidentaux, France en tête, dépensent des millions en soutien militaire, mais peinent à financer des projets sociaux durables. Leur approche, souvent dictée par des intérêts géostratégiques, néglige l’essentiel : donner aux jeunes Africains des raisons de croire en un avenir pacifique. Sans une coopération équilibrée, centrée sur le développement humain, la lutte antiterroriste restera un combat d’arrière-garde.

Des leçons non tirées La situation rappelle celle de l’Irak ou de l’Afghanistan, où des décennies de guerre ont montré que la violence ne se vainc pas par les armes seules. Dans ces pays, les programmes de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) ont échoué là où ils n’étaient pas accompagnés de réformes politiques et économiques profondes. En Afrique de l’Ouest, on semble condamné à répéter les mêmes erreurs.

En Somalie, Al-Shabaab recrute massivement parmi les jeunes des zones rurales appauvries, malgré les offensives militaires régulières. Au Sahel, les groupes affiliés à Al-Qaïda ou à l’État islamique exploitent les mêmes failles. Partout, le même constat s’impose : sans justice sociale, la paix sera toujours fragile.

L’arrestation de Muslim Mohammed Yusuf doit servir de révélateur, non de motif de satisfaction. Elle montre que la violence extrémiste est un virus qui se transmet, faute de remèdes adaptés. Les États africains et leurs partenaires doivent enfin comprendre que la sécurité ne se décrète pas ; elle se construit, jour après jour, par l’éducation, la justice et le développement.

Cesser de célébrer les victoires illusoires et de s’attaquer aux racines du mal. Sinon, dans dix ans, ce ne seront pas six jihadistes arrêtés au Tchad dont on parlera, mais sixty et puis six cents. La balle est dans le camp des dirigeants : choisiront-ils enfin la voie de la prévention, ou continueront-ils à courir après l’urgence, au risque de perdre des générations entières ?

La réponse à cette question déterminera l’avenir de millions de jeunes Africains et, peut-être, la stabilité de tout un continent.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Issa Dione.
Mis en ligne : 26/08/2025

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