L’arrestation qui pourrait tout enflammer : Casamance sous pression - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Société | Par Eva | Publié le 02/09/2025 08:09:00

L’arrestation qui pourrait tout enflammer : Casamance sous pression

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L’interpellation récente de Hamidou Djiba, porte-parole du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC), section Mangoucourou, a été présentée comme une opération de sécurité nationale. Pourtant, cette arrestation, loin d’apaiser les tensions, risque au contraire d’attiser le feu d’un conflit qui couve depuis plus de quarante ans.

En ciblant une figure médiatique et radicale du séparatisme casamançais, les autorités sénégalaises pourraient bien avoir commis une erreur stratégique : transformer un agitateur en martyr, radicaliser une jeunesse déjà frustrée, et perpétuer un cycle de violence que ni la répression ni l’absence de dialogue n’ont jamais réussi à briser.

Le conflit en Casamance, né en 1982, est l’un des plus anciens d’Afrique de l’Ouest. Il oppose l’État sénégalais au MFDC, un mouvement indépendantiste né d’un sentiment profond de marginalisation politique, économique et culturelle. Depuis le début des années 1980, les arrestations de leaders séparatistes, comme celle de l’abbé Diamacoune Senghor, emprisonné à plusieurs reprises, ont systématiquement été suivies de vagues de violence, de radicalisation et de fragmentation du mouvement. Chaque fois, la répression a alimenté la défiance, et chaque cessez-le-feu a été fragile, souvent rompu par de nouveaux affrontements.

L’histoire récente montre que les arrestations de leaders charismatiques, loin de désamorcer les crises, les exacerbent. En Casamance, l’emprisonnement de Diamacoune Senghor dans les années 1980 et 1990 a marqué un tournant : le MFDC est passé de la contestation politique à la lutte armée, et la région a sombré dans des décennies de guérilla, de mines antipersonnel et de milliers de morts.

Aujourd’hui, Hamidou Djiba, connu pour ses discours incendiaires sur les réseaux sociaux, incarne une nouvelle génération de militants, plus connectée, plus visible, et donc plus susceptible de devenir un symbole de résistance. Son arrestation, dans un contexte où les motifs restent flous, ne fera que renforcer son aura auprès des jeunes Casamançais, déjà convaincus que Dakar ne leur offre aucune voie pacifique pour exprimer leurs revendications.

Les exemples internationaux sont édifiants. Au Cameroun, l’arrestation de leaders anglophones en 2017 a précipité la radicalisation du mouvement séparatiste, transformant des revendications politiques en insurrection armée. En Turquie, l’emprisonnement d’Abdullah Öcalan, leader du PKK, n’a pas mis fin au conflit kurde, mais en a fait un martyr et une figure de proue pour des générations de militants.

En Casamance, où le MFDC est déjà fragmenté et où les factions les plus dures refusent tout compromis, l’arrestation de Djiba pourrait pousser ses partisans vers des actions plus violentes, surtout si l’État ne propose aucune alternative politique.

Depuis 1982, le Sénégal alterne entre répression militaire et accords de paix précaires. Pourtant, aucune solution durable n’a été trouvée pour répondre aux revendications casamançaises : autonomie, développement économique, reconnaissance culturelle. Les accords signés en 2021 et 2025 avec certaines factions du MFDC montrent que le dialogue est possible, mais ils restent fragiles, car exclusifs et incomplets. Arrestation après arrestation, l’État semble préférer la force à la négociation, alors que la région continue de souffrir d’un sous-développement chronique et d’un sentiment d’abandon.

L’effet contre-productif de la répression : La Casamance a déjà payé le prix fort pour cette approche. Chaque opération militaire, chaque arrestation spectaculaire, a été suivie de représailles, de recrutements accrus dans les rangs des séparatistes, et d’une méfiance accrue envers les institutions. En 2018, après des arrestations massives liées à un massacre dans une forêt, le chef rebelle Salif Sadio avait menacé de rompre la trêve. Aujourd’hui, avec Djiba en prison, le scénario se répète : ses partisans, humiliés et sans voix, pourraient bien choisir les armes plutôt que le silence.

L’arrestation de Hamidou Djiba n’est pas une solution, mais un nouveau coup de canif dans un contrat social déjà profondément érodé. Tant que l’État sénégalais refusera d’engager un dialogue inclusif, transparent et respectueux des aspirations casamançaises, chaque mesure répressive ne fera qu’alimenter le cycle de la violence. Il faut comprendre que la sécurité ne se décrète pas, elle se construit, par la justice, le développement, et le respect des droits de tous les citoyens, y compris ceux qui osent contester l’ordre établi.

Il faut que les autorités sénégalaises rompent avec cette logique de la force. La Casamance mérite mieux qu’un éternel recommencement de tensions et de deuils. Il faut ouvrir la voie à des négociations globales, inclure toutes les factions du MFDC, et surtout, s’attaquer aux causes profondes du séparatisme : la pauvreté, l’exclusion, et le mépris historique pour une région qui aspire, avant tout, à la dignité. Sinon, chaque arrestation ne sera qu’une nouvelle étincelle dans une poudre déjà prête à exploser.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Thierno T. Fall.
Mis en ligne : 31/08/2025

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