Un malade se donne la mort, faute de soins : Fin tragique à Thiaroye - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Fait divers | Par Eva | Publié le 02/09/2025 09:09:15

Un malade se donne la mort, faute de soins : Fin tragique à Thiaroye

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Vendredi 22 août, à Thiaroye, un homme de 42 ans s’est ôté la vie après des années de combat contre des céphalées chroniques, laissant derrière lui une famille en deuil et une société indifférente. Les détails glaçants de ce drame, rapportés par Les Échos, devraient nous révolter : un parcours médical interminable, des consultations infructueuses à Touba comme à Dakar, et une fin atroce, seul, dans une chambre exiguë.

Pourtant, au-delà de l’horreur du geste, c’est l’échec collectif d’un système de santé défaillant qui doit nous interpeller. Ce suicide n’est pas une fatalité, mais le symptôme d’un abandon institutionnel. Au Sénégal, souffrir de douleurs chroniques ou de troubles invisibles équivaut trop souvent à une sentence sans appel. Pourquoi un pays qui se veut moderne laisse-t-il ses citoyens mourir faute de soins adaptés ?

Le Sénégal se targue de progrès sanitaires, avec des hôpitaux flambant neufs et des discours politiques sur la couverture santé universelle. Pourtant, la réalité est tout autre pour des milliers de patients comme ce quadragénaire. Les céphalées chroniques, les migraines invalidantes ou les douleurs neuropathiques sont encore considérées comme des maux secondaires, relégués au bas des priorités. Pire, les structures censées les prendre en charge qu’elles soient publiques ou religieuses peinent à offrir des solutions durables. À Touba, l’hôpital Matlaboul Fawzeyni et le centre Cheikh Ahmadoul Khadim sont des références pour les fidèles mourides, mais leur capacité à gérer les douleurs complexes reste limitée. À Dakar, les files d’attente interminables et le manque de spécialistes achèvent de décourager les malades.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les troubles neurologiques et les douleurs chroniques touchent des millions de personnes en Afrique subsaharienne, mais les ressources allouées à leur traitement sont dérisoires. Au Sénégal, on compte à peine une poignée de neurologues pour une population de 17 millions d’habitants, et les unités spécialisées dans la gestion de la douleur se comptent sur les doigts d’une main. Dans ce désert médical, les patients errent de consultation en consultation, avides d’un soulagement qui ne vient jamais.

Le calvaire du défunt de Thiaroye est emblématique. Des années de souffrances, des ordonnances empilées, des examens répétés, et pourtant, aucune amélioration. Son dossier médical, aujourd’hui entre les mains de la police, témoigne d’un système qui traite les symptômes sans jamais s’attaquer aux causes. Les antalgiques prescrits masquent la douleur sans la guérir, et les conseils prodigués “reposez-vous”, “priez”, “supportons” relèvent davantage de l’abdication que de la médecine.

Pourquoi un homme en pleine force de l’âge en arrive-t-il à préférer la mort à la vie ? Parce que, au Sénégal, la douleur chronique est une double peine : physique et sociale. Elle isole, appauvrit, et finit par briser. Les proches du défunt évoquent un homme “épuisé moralement”, un terme qui résume à lui seul l’absence de prise en charge psychologique. Dans un pays où la santé mentale reste un tabou, les dépressifs et les patients en détresse sont livrés à eux-mêmes. Les psychologues et psychiatres sont inaccessibles pour la majorité de la population, et les rares structures existantes se concentrent dans la capitale, hors de portée des plus modestes.

Le pire, peut-être, est l’hypocrisie collective. On compatit, on prie pour le défunt, mais on ne remet jamais en cause les responsabilités institutionnelles. Où sont les campagnes de sensibilisation sur les douleurs invisibles ? Où sont les formations pour les médecins généralistes, souvent démunis face à ces pathologies ? Où est la volonté politique de créer des centres de la douleur, comme il en existe en Europe ou en Amérique du Nord ?

Le Sénégal compte moins de 10 neurologues pour 17 millions d’habitants. Les centres hospitaliers régionaux manquent cruellement d’équipements pour diagnostiquer et traiter les céphalées complexes. À Touba, malgré la renommée de ses établissements, les patients sont souvent renvoyés vers Dakar, où les délais de consultation peuvent s’étendre sur des mois.

Contrairement à des pays comme la France ou le Canada, où les parcours de soins pour les douleurs chroniques sont structurés, le Sénégal navigue à vue. Les patients sont ballottés entre généralistes, tradithérapeutes et marabouts, sans coordination ni suivi. Résultat : des années perdues, des économies englouties dans des traitements inefficaces, et un désespoir qui grandit.

Le budget alloué à la psychiatrie et à la psychologie est dérisoire. Pourtant, la dépression et l’anxiété aggravent les douleurs physiques, créant un cercle vicieux. En 2023, une étude de l’Université Cheikh Anta Diop révélait que 60 % des patients souffrant de douleurs chroniques présentaient des symptômes dépressifs. Pourtant, aucune mesure concrète n’a été prise pour intégrer un volet psychologique dans leur prise en charge.

Dans une société où la maladie est souvent attribuée à des causes mystiques, les patients hésitent à consulter des spécialistes, par peur d’être stigmatisés. Les marabouts, parfois consultés en dernier recours, proposent des remèdes dont l’efficacité n’est jamais évaluée. Cette méfiance envers la médecine moderne coûte des vies.

Au Maroc, le plan national de lutte contre la douleur, lancé en 2018, a permis de former des centaines de médecins et d’ouvrir des unités spécialisées dans les CHU. En Côte d’Ivoire, des partenariats avec des ONG internationales ont amélioré l’accès aux antalgiques essentiels. Même en Afrique du Sud, où les inégalités sont criantes, des programmes publics ciblent les douleurs liées au VIH ou aux cancers.

À l’inverse, le Sénégal traîne les pieds. Le Plan Sénégal Émergent (PSE) mentionne bien la santé, mais les maladies chroniques et la douleur y sont à peine évoquées. Pendant ce temps, des pays comme le Rwanda ou l’Éthiopie, moins riches, ont mis en place des stratégies nationales pour la santé mentale. La question n’est donc pas une affaire de moyens, mais de volonté politique.

Chaque année, des Sénégalais meurent dans l’indifférence générale, victimes d’un système qui les a abandonnés. Ce drame doit servir de déclic. Il est urgent de :

Former davantage de neurologues et de spécialistes de la douleur, et les répartir sur l’ensemble du territoire. Créer des unités dédiées dans les hôpitaux publics, avec un accès gratuit aux soins pour les plus démunis. Intégrer la santé mentale dans les parcours de soins, en brisant les tabous qui entourent la dépression et l’anxiété. Sensibiliser le grand public et les professionnels de santé à la prise en charge des douleurs chroniques.

La mort de ce quadragénaire n’est pas une fatalité. C’est le résultat d’un choix : celui de négliger les souffrances invisibles au profit de projets plus “visibles”. Combien de vies faudra-t-il encore sacrifier avant que l’État sénégalais ne comprenne que la dignité d’un peuple se mesure aussi à sa capacité à soulager ses citoyens ? La réponse à cette question déterminera l’avenir de milliers de patients condamnés, aujourd’hui, à souffrir en silence.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Ba.
Mis en ligne : 02/09/2025

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