Comptes suspects, silence complice : La responsabilité des banques - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Justice | Par Eva | Publié le 03/09/2025 08:09:57

Comptes suspects, silence complice : La responsabilité des banques

Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »

L’actualité récente a révélé que la Division des investigations criminelles (DIC) enquête sur 63 comptes bancaires ouverts dans plusieurs établissements sénégalais, soupçonnés d’avoir servi à des dépenses extra-budgétaires. Parmi ces comptes, certains sont liés à l’affaire du « Sukuk Sogepa », où un virement de 10 milliards de FCFA a été effectué vers La Poste, sous la direction d’Abdoulaye Bibi Baldé. Plusieurs directeurs de banques (BSIC, BRM, Bridge Bank, NSIA, Ecobank, etc.) ont été discrètement entendus, tandis que la DIC tente de retracer les opérations et d’identifier les bénéficiaires finaux.

Si les banques se présentent comme des victimes collatérales d’un système corrompu, leur rôle réel mérite un examen critique. En effet, leur silence, leurs conflits d’intérêts et la faiblesse des contrôles bancaires au Sénégal interrogent : sont-elles vraiment des victimes, ou bien des complices actifs de ces dérives ?

Le Sénégal, comme beaucoup de pays africains, est confronté à des défis majeurs en matière de transparence financière. Malgré des réformes récentes (loi anti-blanchiment de 2024, renforcement de la régulation bancaire), les failles persistent. La Cour des comptes et la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) ont régulièrement pointé du doigt des flux financiers opaques, des rétrocommissions et des détournements impliquant des acteurs publics et privés. L’affaire du Sukuk Sogepa, avec ses 114,4 milliards de FCFA de fonds mal gérés, illustre l’ampleur du problèmeledakarois.sn. Pourtant, les banques, censées être les gardiennes de la probité financière, semblent souvent fermer les yeux sur des opérations suspectes.

Les banques sont tenues, par la loi, de signaler toute transaction suspecte à la CENTIF. Pourtant, dans l’affaire des 63 comptes, aucune alerte précoce n’a été déclenchée. Comment expliquer qu’un virement de 10 milliards de FCFA, issu de fonds publics et destiné à un usage détourné, n’ait pas suscité de réaction immédiate ? Selon des experts, la peur de perdre des clients influents ou des pressions politiques pourraient expliquer ce mutisme. Comme le souligne Moussa Sylla, auteur de La conformité bancaire au Sénégal, « un pays où la corruption est forte est très vulnérable au blanchiment de capitaux ». Les établissements bancaires, en ne jouant pas leur rôle de lanceurs d’alerte, deviennent ainsi des maillons essentiels d’un système de prédation.

Plusieurs dirigeants bancaires auditionnés par la DIC entretiennent des liens étroits avec le pouvoir politique. Certains sont d’anciens hauts fonctionnaires, d’autres siègent dans des cercles d’influence proches des décideurs publics. Cette porosité entre sphère bancaire et pouvoir politique favorise les passe-droits et réduit la volonté de contrôler rigoureusement les flux financiers. Par exemple, l’implication de la Banque islamique du Sénégal (BIS) dans l’affaire Sukuk Sogepa, où ses dirigeants ont été entendus, montre à quel point les intérêts privés et publics s’entremêlent.

Bien que le Sénégal ait adopté des lois pour renforcer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, leur application reste inégale. La BCEAO et les autorités nationales peinent à harmoniser les pratiques, et les contentieux liés aux fraudes bancaires représentent 40 % des litiges économiques dans la région UMOA Les réformes récentes (loi de 2025 sur la réglementation bancaire, adoption des normes Bâle II et III) sont un progrès, mais leur mise en œuvre prend du temps, laissant la porte ouverte aux abus. Comme le note un rapport du GIABA, l’absence de cadres stricts pour les transferts mobiles et les monnaies virtuelles aggrave encore les risques.

Ailleurs en Afrique, des banques ont été sanctionnées pour complicité dans des affaires de corruption. Au Nigeria, des établissements occidentaux ont dû restituer des milliards de dollars détournés par l’ancien président Sani Abacha, après des pressions internationales En RDC, des enquêtes ont révélé des collusions entre banques et élites politiques pour détourner des fonds publics. Au Sénégal, en revanche, peu de sanctions ont été prononcées contre les banques impliquées dans des scandales financiers. Cette impunité relative interroge : pourquoi les établissements sénégalais échappent-ils à des mesures aussi strictes ?

Quand une banque accepte d’ouvrir un compte pour des dépenses extra-budgétaires, ou qu’elle valide un virement opaque sans vérification, elle n’est plus un simple prestataire de services, mais un acteur complice. Comme l’a écrit un observateur : « Quand une banque ferme les yeux sur un virement de 10 milliards, elle n’est plus un acteur économique, mais un complice ». Les auditions discrètes des dirigeants bancaires par la DIC le confirment : leur rôle dépasse celui de simples témoins.

Les cellules de renseignement financier (comme la CENTIF) dépendent souvent de la bonne volonté des banques pour recevoir des informations. Or, quand ces dernières tergiversent ou omettent de signaler des anomalies, elles sabotent le système de lutte contre la corruption. Le cas du cabinet européen Beta, qui a réacheminé des fonds détournés vers des comptes sénégalais, montre comment les failles bancaires permettent aux réseaux de fraude de prospérer.

Malgré les réformes, les rapports de la Cour des comptes et les enquêtes judiciaires peinent à obtenir des données complètes de la part des banques. Cette opacité volontaire protège les bénéficiaires finaux et entretient un climat de défiance envers le secteur bancaire.

L’affaire des 63 comptes bancaires et du Sukuk Sogepa révèle une vérité gênante : les banques sénégalaises ne sont pas seulement des victimes de la corruption, mais souvent des facilitatrices. Leur rôle dans la chaîne des détournements de fonds publics est trop important pour être ignoré. Pour restaurer la confiance, il faut :

Renforcer les sanctions contre les banques qui ne respectent pas leurs obligations de vigilance.
Rendre publiques les auditions des dirigeants bancaires, pour dissoudre les zones d’ombre.
Harmoniser les pratiques de lutte contre le blanchiment, en s’inspirant des standards internationaux et des expériences réussies ailleurs en Afrique.

La crédibilité du système financier sénégalais en dépend. Sans une remise en cause profonde de leur rôle, les banques resteront des complices silencieuses d’un système qui appauvrit le pays et ses citoyens. Comme le dit un proverbe africain : « Quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. » Ici, ce sont les Sénégalais qui paient le prix de cette complicité.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Amadou Ndiaye.
Mis en ligne : 03/09/2025

La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.


Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Réagir à cet article

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

0 commentaires

Copyright © 2023 www.notrecontinent.com

To Top