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Le Collectif Interministériel des Agents de l’Administration Sénégalaise (CIAAS) a récemment annoncé le lancement d’une « Semaine rouge » à partir du 8 septembre 2025, invitant tous les agents publics à porter un brassard rouge pour réclamer le paiement immédiat de l’indemnité de logement promise à 16 000 d’entre eux. Si cette initiative vise à attirer l’attention sur une injustice persistante, elle soulève une question cruciale : une mobilisation symbolique, sans pression réelle, peut-elle vraiment contraindre le gouvernement à agir ?
L’histoire récente des mouvements sociaux au Sénégal et en Afrique suggère que la réponse est non. Sans actions concrètes et sans stratégie de pression forte, le risque est grand de voir cette « Semaine rouge » s’ajouter à la longue liste des mobilisations restées lettres mortes.
Depuis des années, les agents de l’administration sénégalaise réclament le versement de leur indemnité de logement, promise dans le Pacte de stabilité sociale et même actée par la Loi de finances rectificative votée en juin 2025. Pourtant, malgré les engagements répétés des autorités, cette indemnité n’a toujours pas été versée, laissant 16 000 travailleurs dans l’attente et l’incertitude. Le CIAAS, en appelant à porter un brassard rouge, espère interpeller le gouvernement et l’opinion publique. Mais dans un contexte où les finances publiques sont tendues et où les priorités semblent ailleurs, une simple manifestation symbolique suffira-t-elle à débloquer la situation ?
L’histoire des mouvements sociaux enseigne que les gouvernements n’agissent vraiment que sous la contrainte. Les brassards rouges, les pétitions ou les communiqués, aussi légitimes soient-ils, sont rarement perçus comme une menace sérieuse. Ils permettent aux autorités de gagner du temps, de temporiser, voire d’ignorer purement et simplement les revendications. Au Sénégal, comme ailleurs en Afrique, les mobilisations qui ont abouti l’ont fait grâce à des actions radicales : grèves, blocages, occupation des lieux stratégiques.
Le CIAAS semble conscient de cette réalité, puisqu’il présente la « Semaine rouge » comme une première étape. Mais en évitant d’ores et déjà d’annonce des mesures plus musclées (grève, arrêt de travail), le collectif prend le risque de voir sa mobilisation s’essouffler avant même d’avoir obtenu des résultats. Les agents publics, déjà frustrés par des années de promesses non tenues, pourraient se démobiliser si aucune avancée concrète ne se dessine. Pire, cette initiative pourrait être perçue comme un aveu de faiblesse, donnant au gouvernement le signal qu’il peut continuer à tergiverser sans craindre de conséquences réelles.
Les grèves des enseignants, des médecins et des greffiers ont montré que seule une pression forte et prolongée permet d’obtenir des résultats. En 2025, la grève des greffiers a paralysé le système judiciaire pendant des semaines, forçant l’État à réagir. À l’inverse, les mobilisations purement symboliques, comme les « journées sans presse » ou les pétitions en ligne, n’ont pas eu le même impact. Le brassard rouge, aussi visible soit-il, ne perturbe en rien le fonctionnement de l’administration. Sans perturbation, pas de négociation sérieuse.
Tant que les services publics continuent de tourner, le gouvernement peut se permettre d’ignorer les revendications. Les agents qui portent un brassard rouge continueront de travailler, de percevoir leur salaire (hors indemnité), et l’État n’aura aucune incitation à accélérer le processus. Les exemples des contractuels de la santé ou des diplomates, toujours en attente de leurs droits, le prouvent : sans rapport de force, les promesses restent des promesses.
Une mobilisation symbolique peut diviser les agents : ceux qui bénéficient déjà de l’indemnité pourraient ne pas soutenir le mouvement, et ceux qui attendent pourraient se décourager si rien ne bouge. Le CIAAS doit éviter de reproduire les erreurs du passé, où des mouvements mal préparés ou trop timides ont fini par s’éteindre faute de résultats.
Pour être efficace, une mobilisation doit s’inscrire dans un plan d’action précis, avec des échéances et une escalade des moyens de pression. Le CIAAS devrait annoncer dès maintenant quelles seront les prochaines étapes si le gouvernement ne cède pas : grève partielle, arrêt de travail ciblé, ou même boycott des services non essentiels. Sans cela, la « Semaine rouge » risque de n’être qu’un coup d’épée dans l’eau, affaiblissant la crédibilité du collectif pour l’avenir.
En Afrique, les mouvements sociaux qui ont réussi à faire plier les gouvernements l’ont fait en combinant mobilisation de masse et perturbation des services. Au Nigéria, le mouvement #EndSARS a utilisé les réseaux sociaux pour organiser des manifestations massives, mais c’est l’occupation des rues et la paralysie des grandes villes qui ont forcé les autorités à réagir. Au Burkina Faso, le « Balai citoyen » a obtenu des concessions en bloquant les institutions et en mobilisant l’opinion internationale.
Au Sénégal même, les grèves des enseignants en 2022 ont abouti grâce à une unité syndicale et à des arrêts de travail prolongés. À l’inverse, les mobilisations purement symboliques, comme les hashtags ou les pétitions, ont rarement suffi à obtenir des changements structurels. Elles peuvent sensibiliser, mais ne remplacent pas une stratégie de pression réelle.
La « Semaine rouge » est une initiative louable, mais elle ne doit être qu’un point de départ. Pour obtenir le paiement des indemnités de logement, le CIAAS devra passer à la vitesse supérieure : organiser des grèves ciblées, perturber les services publics si nécessaire, et maintenir une pression constante sur le gouvernement. Les brassards rouges peuvent servir de signal d’alerte, mais ils ne remplaceront jamais une grève ou un blocage.
Les 16 000 agents concernés méritent mieux que des symboles. Ils méritent une stratégie à la hauteur de leurs revendications, une stratégie qui force le gouvernement à tenir ses promesses. Sans cela, la « Semaine rouge » ne sera qu’un épisode de plus dans une longue liste de mobilisations restées sans lendemains. Le CIAAS a maintenant le choix : se contenter d’un geste symbolique, ou construire un rapport de force capable de faire plier l’État. L’histoire récente montre clairement quelle option a le plus de chances de réussir.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Anta D. Diop.
Mis en ligne : 11/09/2025
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