Une réussite bâtie sur l’injustice : Le paradoxe Patisen - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Société | Par Eva | Publié le 14/09/2025 09:09:15

Une réussite bâtie sur l’injustice : Le paradoxe Patisen

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L’entreprise Patisen, fleuron de l’agroalimentaire sénégalais et acteur majeur en Afrique de l’Ouest, est aujourd’hui au cœur d’une crise sociale majeure. Ses employés, payés à peine 70 000 ou 75 000 FCFA par mois, dénoncent des conditions de travail indignes, l’absence de perspectives d’évolution et un licenciement jugé arbitraire. Derrière l’image d’un groupe prospère, prospère aussi une réalité bien moins reluisante : celle d’une exploitation systématique de ceux qui, chaque jour, font sa richesse.

Fondée en 1981, Patisen s’est imposée comme le leader incontesté du secteur agroalimentaire au Sénégal, avec un chiffre d’affaires dépassant les 25 milliards de FCFA et une présence dans une trentaine de pays africains. Spécialisée dans la production et la distribution de produits de grande consommation (bouillons, huiles, pâtes alimentaires, etc.), l’entreprise affiche des ambitions continentales et des partenariats prestigieux, comme celui noué avec le géant singapourien Wilmar. Pourtant, derrière cette réussite apparente se cache un modèle social profondément inéquitable.

En 2025, le salaire mensuel moyen au Sénégal s’élève à environ 100 000 FCFA, tandis que dans le secteur agroalimentaire, les ouvriers agricoles perçoivent entre 61 000 et 95 000 FCFA. À Patisen, certains employés touchent donc des salaires inférieurs de 25 à 40 % à la moyenne nationale, et bien en dessous du seuil de décence. Pire, ces rémunérations dérisoires sont versées par une entreprise dont les bénéfices se comptent en milliards et dont les dirigeants, comme Youssef Omaïs, ont su bâtir un empire économique sur le dos d’une main-d’œuvre sous-payée et sans perspective.

Comment une entreprise qui se targue d’être un « champion sénégalais » peut-elle traiter ainsi ceux qui contribuent directement à sa prospérité ? La réponse tient en une stratégie délibérée : maintenir les coûts salariaux au plus bas pour maximiser les profits. En 2013, Patisen affichait déjà un bénéfice net de 16,77 millions de dollars pour un chiffre d’affaires de 143 millions de dollars. Depuis, son expansion n’a fait qu’accroître cet écart entre la richesse produite et la part redistribuée aux travailleurs.

L’absence de plan de carrière n’est pas un hasard, mais un choix. En privant ses employés de toute possibilité d’évolution, Patisen s’assure une main-d’œuvre docile, facile à remplacer et peu encline à revendiquer. Les conditions de travail précaires, dénoncées par les salariés, ne sont pas non plus une fatalité, mais le résultat d’une politique de gestion qui privilégie la rentabilité immédiate à la durabilité sociale. Le licenciement récent du chef du personnel, perçu comme une provocation, illustre cette logique : toute voix dissonante est étouffée, toute velléité de dialogue social est ignorée.

Avec des bénéfices annuels se comptant en milliards de FCFA, Patisen pourrait aisément revaloriser les salaires sans menacer sa compétitivité. Pourtant, elle préfère investir dans l’expansion géographique ou dans des partenariats internationaux plutôt que dans le bien-être de ses employés.

Des entreprises comme APRAN, dans l’avicole, ou d’autres acteurs locaux, prouvent qu’il est possible de concilier performance économique et respect des droits sociaux. Soutenues par des institutions comme la Banque mondiale ou l’IFC, elles investissent dans la formation, la sécurité et la rémunération de leurs travailleurs, démontrant que la croissance peut rimer avec équité.

En maintenant ses salariés dans la précarité, Patisen ne se contente pas de bafouer leurs droits ; elle menace aussi la stabilité sociale et la réputation du secteur agroalimentaire sénégalais. Les grèves annoncées pourraient coûter bien plus cher à l’entreprise que des augmentations de salaire négociées.

Patisen incarne aujourd’hui le pire du capitalisme africain : une réussite économique bâtie sur l’injustice et l’exploitation. Il faut que les pouvoirs publics, les consommateurs et les partenaires commerciaux de l’entreprise exigent des comptes. Les travailleurs de Patisen ne demandent pas l’aumône, mais le respect élémentaire de leur dignité.

Tant que Patisen refusera de revaloriser les salaires, d’améliorer les conditions de travail et de rétablir un dialogue social sincère, elle ne méritera ni son statut de leader, ni la confiance des Sénégalais. Boycotter ses produits, soutenir les mouvements sociaux et exiger des audits indépendants sur ses pratiques sociales sont des leviers à actionner sans délai. Une entreprise qui exploite ses employés ne peut prétendre représenter l’excellence africaine. Il est temps que Patisen choisisse : soit elle devient un modèle de responsabilité sociale, soit elle restera dans l’histoire comme le symbole d’un développement sans conscience.

Consommateurs, syndicats, médias : mobilisons-nous pour que Patisen cesse de prospérer sur le dos de ses travailleurs. La richesse d’une entreprise se mesure aussi à la manière dont elle traite ceux qui la font vivre. À Patisen de le comprendre, avant qu’il ne soit trop tard. »

Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Sokhna Astou.
Mis en ligne : 14/09/2025

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