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Les déclarations de Jean-Claude Kassi Brou, gouverneur de la BCEAO, appelant à l’aboutissement des négociations entre le FMI et le Sénégal après la découverte de dettes cachées colossales, sonnent comme une ironie. Derrière les mots policés se cache une réalité accablante : ces institutions, présentées comme des garantes de la stabilité économique, ont en réalité fermé les yeux sur des années de gabegie financière sous l’ancien régime.
Leur rôle dans la crise actuelle du Sénégal n’est pas celui de sauveurs, mais bien de complices d’un système qui a permis le pillage des ressources du pays et l’enrichissement d’une minorité au détriment du peuple.
Les audits menés en 2024 ont révélé que la dette publique du Sénégal, sous-évaluée pendant des années, atteignait en réalité 118,8 % du PIB, dont une partie substantielle avait été délibérément dissimulée entre 2019 et 2024. Pourtant, ni le FMI, ni la BCEAO, pourtant chargés de surveiller la santé économique du pays, n’ont alerté sur ces irrégularités. Leur silence assourdissant pendant que les dettes s’accumulaient pose une question lancinante : comment des institutions censées garantir la transparence ont-elles pu ignorer, ou pire, tolérer, une telle supercherie ? La réponse réside dans le fonctionnement même de ces organisations, souvent accusées de servir avant tout les intérêts des puissances financières occidentales et des élites locales corrompues.
Le FMI suspend aujourd’hui un prêt de 1,9 milliard de dollars, invoquant la nécessité de « transparence » et de « réformes structurelles ». Mais cette posture moralisatrice est difficile à croire. Où était le FMI lorsque ces dettes étaient contractées dans l’opacité ? Pourquoi la BCEAO, dont le mandat inclut la surveillance macroéconomique de la région, n’a-t-elle rien détecté ? Les faits sont accablants : ces institutions ont validé, année après année, des données budgétaires erronées, permettant ainsi à l’administration Macky Sall de creuser un trou financier abyssal. Leur inaction n’est pas un simple échec technique, mais bien le symptôme d’un système où la complicité avec les régimes en place prime sur la rigueur et l’équité.
Le Sénégal n’est malheureusement pas une exception. Depuis des décennies, le FMI est critiqué pour son rôle dans l’endettement chronique des pays africains, utilisant la dette comme un levier pour imposer des politiques d’austérité qui appauvrissent les populations et ouvrent les portes aux multinationales. La BCEAO, bien que techniquement indépendante depuis la fin du franc CFA en 2020, reste prisonnière d’une logique de dépendance économique, où les décisions clés sont souvent influencées par d’anciennes puissances coloniales. Les réserves de change, autrefois déposées à Paris, sont désormais gérées « librement » mais dans un cadre où les marges de manœuvre réelles des États africains restent étroites.
Le FMI et la BCEAO ont permis, par leur passivité, la constitution d’une dette odieuse, contractée sans le consentement éclairé des Sénégalais et souvent au profit d’intérêts privés étrangers. Aujourd’hui, c’est le peuple qui est sommé de rembourser, alors que les bénéfices de ces emprunts ont profité à une infime minorité.
Ni les missions du FMI, ni les audits de la BCEAO, ni les organes de surveillance locaux n’ont sonné l’alarme. Leur incapacité ou leur refus à identifier ces irrégularités révèle une faille structurelle : ces institutions ne sont pas conçues pour protéger les populations, mais pour servir les créanciers et les régimes en place.
La coopération de plus de quarante ans entre le Sénégal et le FMI a produit une dépendance chronique à l’endettement extérieur, étouffant toute velléité de souveraineté économique. Les révélations sur l’ampleur réelle de la dette confirment l’échec de ce modèle, qui enrichit les élites et les bailleurs de fonds tout en plongeant les pays dans un cercle vicieux de pauvreté et de dépendance.
En Afrique, le FMI a souvent été accusé de soutenir des gouvernements kleptocratiques, tant que ceux-ci acceptaient ses plans d’ajustement structurel. Au Sénégal, comme au Mozambique ou en Côte d’Ivoire, le scénario est toujours le même : des dettes contractées dans l’opacité, des financements maintenus malgré les signaux d’alerte, et des populations laissées pour compte.
Le cas sénégalais rappelle celui du Mozambique, où le FMI avait gelé ses financements en 2016 après la découverte de dettes cachées. Dans les deux cas, les institutions financières internationales ont attendu que le scandale éclate pour réagir, tout en continuant à exiger des remboursements et des réformes douloureuses. La BCEAO, quant à elle, a souvent été pointée du doigt pour son manque d’indépendance réelle, ses gouverneurs agissant davantage comme des exécutants des intérêts étrangers que comme des défenseurs des économies locales. Comme l’a souligné l’économiste Béatrice Hibou, la « servitude volontaire » des banquiers centraux africains est un héritage colonial qui perdure, malgré les réformes cosmétiques.
Le Sénégal se trouve face à un choix historique. Soit il accepte de nouveau les diktats du FMI et de la BCEAO, perpétuant ainsi un cycle de dette et de dépendance. Soit il ose rompre avec ce système, en exigeant l’annulation des dettes illégitimes, une transparence totale dans la gestion des finances publiques, et une refonte radicale de ses relations avec les institutions financières internationales. La complicité entre ces dernières et les régimes corrompus doit cesser. Les nouvelles autorités ont une responsabilité : celle de refuser de payer pour les erreurs ou les crimes de leurs prédécesseurs, et de construire une économie au service du peuple, et non des prédateurs.
La question est simple : le Sénégal aura-t-il le courage de tourner la page, ou restera-t-il prisonnier d’un système conçu pour son exploitation ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Diagne.
Mis en ligne : 21/09/2025
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