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L’oubli des femmes dans le renommage des rues de Dakar-Plateau n’est pas une simple erreur administrative, mais le symptôme d’un problème bien plus profond : l’effacement systémique des femmes dans l’espace public et dans la mémoire collective. La récente décision du conseil municipal de Dakar-Plateau d’honorer des figures emblématiques sénégalaises en renommant des rues, sans y inclure une seule femme, est révélatrice d’une logique qui perdure depuis des décennies, bien au-delà des frontières du Sénégal.
Les rues, les monuments et les lieux publics ne sont pas de simples repères géographiques ; ce sont des marqueurs de notre histoire commune, des miroirs de ce que nous choisissons de célébrer et de transmettre aux générations futures. En excluant les femmes de cette toponymie, on leur envoie un message clair : leur contribution à l’histoire ne mérite pas d’être commémorée, et leur place dans l’espace public reste secondaire.
Cette omission n’est malheureusement pas une exception. Dans de nombreuses villes à travers le monde, les femmes sont sous-représentées, voire absentes, des noms de rues, de places et de monuments. À Paris, par exemple, seulement 2,6 % des rues portent le nom d’une femme, et même dans des villes réputées progressistes comme Montréal, les femmes ne représentent qu’une minorité des biographies sur Wikipédia et des toponymes urbains.
À Sherbrooke, au Québec, une politique toponymique visant à corriger ce déséquilibre a suscité des résistances, certains craignant une « injustice envers les hommes », comme si l’égalité était un jeu à somme nulle. À Noisy-le-Sec, en France, on compte seulement 4,5 % de noms de femmes contre 46,35 % d’hommes. Ces chiffres ne sont pas anodins : ils reflètent une histoire écrite au masculin, où les femmes, malgré leurs réalisations, ont été reléguées à l’ombre des hommes.
L’absence de femmes dans la toponymie urbaine n’est pas qu’une question de symboles. Elle a des conséquences concrètes sur la perception que les jeunes, et surtout les jeunes filles, ont de leur place dans la société. Comment leur dire qu’elles peuvent aspirer à devenir des modèles, des dirigeantes ou des pionnières, si les rues qu’elles empruntent chaque jour ne portent que des noms masculins ?
Comment leur faire croire qu’elles ont toute leur place dans l’histoire nationale, si les figures féminines qui ont marqué le Sénégal, comme Mariama Bâ, Aline Sitoé Diatta ou Caroline Diop, sont effacées des lieux de mémoire ? La toponymie n’est pas neutre : elle participe à la construction de notre imaginaire collectif. En omettant les femmes, on perpétue l’idée qu’elles n’ont pas leur place dans les récits officiels, qu’elles ne sont pas des actrices à part entière de l’histoire.
La décision de renommer des rues est un acte politique. Elle reflète les priorités et les valeurs d’une société. En choisissant d’honorer uniquement des hommes, le conseil municipal de Dakar-Plateau a manqué une occasion de corriger une injustice historique et d’envoyer un signal fort en faveur de l’égalité. Pire, il a renforcé un statu quo qui marginalise les femmes et limite leur visibilité. Pourtant, les exemples ne manquent pas de villes qui ont pris le parti de la parité. À Paris, des initiatives récentes ont tenté d’équilibrer la représentation, même si le chemin reste long. À Poitiers, des rues portent enfin les noms de Simone Weil ou d’Hélène Boucher, preuve que le changement est possible quand la volonté politique est là.
Il faut que Dakar-Plateau, et plus largement le Sénégal, prennent conscience de l’urgence de cette question. La toponymie doit refléter la diversité et la richesse de notre histoire, et non perpétuer les inégalités du passé. Le Collectif des Femmes Leaders a raison de dénoncer cette omission et d’exiger une révision immédiate de la liste. Mais au-delà de cette correction ponctuelle, c’est une réflexion plus large sur la place des femmes dans l’espace public qui doit être engagée.
Les municipalités doivent s’engager à atteindre une véritable parité dans les noms de rues, en s’appuyant sur des commissions inclusives et des consultations citoyennes. Les femmes sénégalaises, par leur combat, leur créativité et leur résilience, ont largement mérité leur place dans la mémoire collective. Il est grand temps de leur rendre hommage, non pas par charité, mais par justice.
La toponymie n’est pas qu’une question de noms sur des plaques. C’est une question de reconnaissance, de dignité et d’avenir. En excluant les femmes, on ne fait pas qu’oublier le passé : on hypothèque l’avenir. On doit agir, pour que les rues de Dakar-Plateau, et celles de toutes les villes du Sénégal, deviennent enfin le reflet d’une histoire partagée, où chaque citoyen, quelle que soit son identité, peut se reconnaître et s’inspirer. La balle est dans le camp des décideurs : sauront-ils entendre cet appel et faire de l’espace public un lieu d’égalité et de mémoire pour toutes et tous ?
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Anta F.
Mis en ligne : 08/10/2025
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