Un procès politique déguisé en procès moral : Affaire Gaïdé Macky - Notre Continent
> NOTRE CONTINENT > - Justice | Par Eva | Publié le 25/10/2025 11:10:45

Un procès politique déguisé en procès moral : Affaire Gaïdé Macky

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Le tribunal des flagrants délits de Dakar a rendu son verdict : six mois de prison, dont un mois ferme, contre Daba Mbodji, alias Gaïdé Macky, militante de l’APR, pour « discours contraire aux bonnes mœurs ». Si la justice a relaxé l’accusée des chefs d’offense et d’injures, elle a retenu celui, plus flou, de « discours contraire aux bonnes mœurs » une notion aux contours subjectifs, souvent brandie pour sanctionner des opinions impopulaires.

Ce verdict, intervenu dans un contexte de polarisation extrême entre l’APR et le PASTEF, soulève une question troublante : et si la justice sénégalaise, au lieu d’arbitrer équitablement, servait désormais d’outil pour régler des comptes politiques ?

Le Sénégal traverse une période de crise politique et institutionnelle. Depuis l’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye et d’Ousmane Sonko, le pays est secoué par des accusations croisées, des procédures judiciaires ciblant d’anciens responsables, et une polarisation sans précédent entre les partisans de l’ancien régime et ceux du nouveau pouvoir. Les poursuites contre Macky Sall, ses proches, et désormais contre des militants comme Gaïdé Macky, s’inscrivent dans une dynamique où la justice est perçue, à tort ou à raison, comme un instrument de revanche ou de neutralisation de l’opposition.

Dans ce climat, le procès de Gaïdé Macky ne peut être isolé des tensions plus larges. La militante, connue pour ses prises de position virulentes, était poursuivie pour des propos tenus à l’encontre d’Ousmane Sonko et des militants du PASTEF. Le choix de retenir uniquement le chef d’accusation de « discours contraire aux bonnes mœurs » une infraction aux contours juridiques flous interroge. Pourquoi ce chef et pas un autre ? Pourquoi une peine de prison ferme, alors que des propos bien plus violents, tenus par des figures politiques, restent souvent impunis ?

Le délibéré du tribunal est révélateur. Gaïdé Macky a été relaxée des accusations d’offense et d’injures, mais condamnée pour un motif aussi vague qu’interprétable : les « bonnes mœurs ». Or, cette notion, rarement invoquée de manière uniforme, semble ici servir de paravent pour éviter un débat de fond. Le ministère public avait requis six mois ferme, une sévérité qui contraste avec la clémence souvent observée pour des personnalités politiques ou des hauts fonctionnaires impliqués dans des affaires bien plus graves.

Le timing du procès est également suspect. Dans un pays où les tensions entre l’APR et le PASTEF sont exploitées pour mobiliser les bases, la condamnation d’une militante de l’APR pour des propos tenus en ligne ne peut qu’alimenter la théorie d’une justice aux ordres. D’autant que, depuis 2021, plusieurs affaires judiciaires (comme celles visant Ousmane Sonko sous Macky Sall) ont été perçues comme des manœuvres pour écarter des opposants ou affaiblir des camps politiques.

Le recours à la notion de « bonnes mœurs » pour condamner des propos politiques n’est pas anodin. Il permet de contourner les garanties habituelles de la liberté d’expression, sous couvert de morale. Pourtant, la justice sénégalaise a souvent fermé les yeux sur des discours bien plus violents, tenus par des responsables politiques ou des personnalités proches du pouvoir. Pourquoi Gaïdé Macky, et pas d’autres ?

Les exemples ne manquent pas. Des figures du PASTEF ou de l’ancien régime ont tenu des propos bien plus provocateurs sans être inquiétées. À l’inverse, des militants de l’opposition ou des influenceurs critiques sont régulièrement poursuivis pour des motifs similaires. Cette sélectivité mine la crédibilité de la justice et renforce l’idée d’une institution au service du pouvoir en place.

En condamnant une militante pour des propos tenus sur les réseaux sociaux, la justice envoie un signal clair : toute critique virulente, même politique, peut être sanctionnée. Dans un pays où la liberté d’expression est déjà menacée, ce verdict risque d’aggraver l’autocensure et de réduire l’espace démocratique.

Au lieu de s’attaquer aux problèmes structurels du pays (corruption, chômage, crise économique), le pouvoir semble préférer cibler des symboles. Gaïdé Macky devient ainsi un bouc émissaire, permettant de détourner l’attention des vrais enjeux et de polariser davantage la société.

Le verdict contre Gaïdé Macky n’est pas qu’une affaire judiciaire. Il est le symptôme d’une justice de plus en plus perçue comme revancharde, où les « bonnes mœurs » servent de prétexte pour museler les opposants et éviter les débats de fond. Dans un Sénégal déjà fragilisé par les divisions, cette décision risque d’aggraver la défiance envers les institutions et d’alimenter un cycle de vengeances et de contre-vengeances.

Si la justice veut retrouver sa crédibilité, elle doit cesser d’être perçue comme revancharde. Sinon, le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique, pourrait bien basculer dans une ère où la loi ne protège plus, mais punit sélectivement. La condamnation de Gaïdé Macky n’est pas qu’une peine pour des mots. C’est un avertissement : dans ce pays, la justice n’est plus un rempart, mais une arme.

Article opinion écrit par le créateur de contenu : Ibrahima Sene.
Mis en ligne : 25/10/2025

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