Les opinions exprimées dans cet article sont celles d’un contributeur externe. NotreContinent.com est une plateforme qui encourage la libre expression, la diversité des opinions et les débats respectueux, conformément à notre charte éditoriale « Sur NotreContinent.com chacun est invité à publier ses idées »
La mère de Mame Ndiaye Savon, Mariama Traoré, a été arrêtée et déférée devant le tribunal de Pikine-Guédiawaye pour des propos injurieux tenus dans une vidéo virale. Elle y répondait aux attaques subies par sa fille sur les réseaux sociaux. Si ses paroles sont condamnables, leur médiatisation et leur judiciarisation immédiate posent question : dans un pays confronté à des défis majeurs insécurité, chômage, crise économique, la justice sénégalaise a-t-elle vraiment le temps et les ressources à consacrer à ce genre d’affaire ? À l’heure où les priorités devraient être ailleurs, cette affaire révèle une déconnexion préoccupante entre les institutions et les attentes des citoyens.
Mariama Traoré, une mère de famille poussée à bout par le harcèlement en ligne dont sa fille était victime, a réagi sous le coup de la colère. Ses propos, bien que choquants, s’inscrivent dans un contexte de cyberviolence croissante, où les victimes peinent à obtenir réparation. Pourtant, c’est elle qui se retrouve devant les tribunaux, tandis que les auteurs des attaques initiales restent dans l’ombre. Cette affaire intervient dans un Sénégal où les réseaux sociaux sont devenus un terrain de règlements de comptes, souvent impunis. Mais au-delà de ce cas précis, c’est l’utilisation des ressources judiciaires qui interroge : pourquoi une telle célérité pour une vidéo virale, alors que des dossiers bien plus graves vols, agressions, corruption traînent pendant des mois, voire des années ?
La justice sénégalaise, déjà engorgée, semble parfois plus réactive face aux polémiques médiatiques qu’aux urgences sociales. Les tribunaux sont submergés, les délais de traitement s’allongent, et les citoyens lambdas peinent à obtenir gain de cause. Dans ce contexte, l’autosaisine du parquet pour des injures publiques, aussi condamnables soient-elles, apparaît comme un luxe que le système ne peut se permettre.
L’affaire Mariama Traoré soulève plusieurs problèmes. D’abord, celui de la sélectivité de la justice : pourquoi une mère en colère est-elle poursuivie avec une telle rapidité, alors que les harceleurs de sa fille n’ont jamais été inquiétés ? Ensuite, celui de l’efficacité : les propos injurieux, bien que répréhensibles, relèvent-ils vraiment de l’urgence judiciaire ? Enfin, celui de la proportionnalité : une garde à vue et une déférence immédiate sont-elles la réponse adaptée à des paroles prononcées sous le coup de l’émotion ?
Les réseaux sociaux amplifient les conflits, mais ils ne devraient pas dicter l’agenda judiciaire. Pourtant, force est de constater que les affaires virales bénéficient souvent d’un traitement accéléré, comme si la justice craignait de paraître inactive face à l’indignation publique. Pendant ce temps, des affaires de corruption, de violences faites aux femmes ou de trafics en tout genre stagnent, faute de moyens ou de volonté politique.
Au Nigeria, les autorités luttent contre la cybercriminalité en ciblant prioritairement les fraudes et les discours haineux organisés, plutôt que les réactions individuelles. En France, les tribunaux évitent de judiciariser systématiquement les conflits nés sur les réseaux sociaux, privilégiant la médiation. Au Sénégal, en revanche, chaque polémique semble justifier une intervention judiciaire, comme si la justice devait répondre à l’émotion du moment plutôt qu’à des critères objectifs.
Pire, cette affaire détourne l’attention des vrais enjeux. Alors que le pays fait face à une crise économique sans précédent, que les jeunes diplômés peinent à trouver un emploi et que l’insécurité grandit dans certaines régions, l’énergie dépensée à poursuivre une mère pour des mots prononcés dans un moment de colère semble démesurée. Les Sénégalais attendent des solutions concrètes : des emplois, une éducation de qualité, une sécurité renforcée. Ils n’attendent pas que la justice se transforme en arbitre des réseaux sociaux.
Le Sénégal compte des milliers de dossiers en souffrance, des victimes de crimes et de délits qui attendent justice depuis des années. Dans ce contexte, poursuivre une mère pour des injures, aussi graves soient-elles, revient à gaspiller des ressources précieuses. La justice doit se concentrer sur ce qui menace réellement la cohésion sociale : la criminalité, la corruption, les inégalités.
Si Mariama Traoré est sanctionnée pour ses propos, pourquoi les auteurs des attaques contre sa fille ne le sont-ils pas ? La justice donne l’impression de punir la réaction plutôt que l’aggression initiale, ce qui est non seulement injuste, mais aussi contre-productif. Cela envoie un message dangereux : mieux vaut harceler en silence que de réagir, même de manière excessive.
En s’autosaisissant pour des affaires médiatiques, le parquet prend le risque de devenir un acteur du buzz, plutôt qu’un garant de l’équité. Une justice qui court après les tendances perd en crédibilité et en indépendance.
Dans un contexte préélectoral, chaque affaire médiatisée peut être récupérée à des fins politiques. Poursuivre une mère pour des propos tenus sous le coup de la colère, c’est prendre le risque de donner l’impression d’une justice aux ordres, plus soucieuse de plaire à l’opinion que de rendre une justice impartiale.
L’affaire Mariama Traoré est révélatrice d’un système judiciaire à bout de souffle, tiraillé entre l’exigence de réactivité et l’accumulation des retards. Si la justice doit sanctionner les propos injurieux, elle ne peut le faire au détriment des priorités nationales. Il faut recentrer son action sur ce qui compte vraiment : protéger les citoyens, lutter contre l’impunité des puissants, et garantir un accès équitable à la justice pour tous.
Plutôt que de s’épuiser à poursuivre des réactions individuelles, aussi condamnables soient-elles, la justice sénégalaise ferait mieux de s’attaquer aux racines du mal : l’impunité des harceleurs, la lenteur des procédures, et l’absence de réponse aux crises sociales. Les Sénégalais n’ont pas besoin d’une justice qui réagit aux vidéos virales. Ils ont besoin d’une justice qui les protège, qui les écoute, et qui agit là où c’est nécessaire. En cela, l’affaire Mariama Traoré est moins un scandale qu’un symbole celui d’une justice qui a perdu de vue ses vraies missions.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Mor Faye.
Mis en ligne : 29/10/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.




