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L’arrestation puis la libération sous contrôle judiciaire de Madiambal Diagne, patron de presse sénégalais visé par un mandat d’arrêt international pour détournement présumé de 32 millions d’euros, soulève une question lancinante : la France, championne autoproclamée de la lutte contre la corruption en Afrique, ne serait-elle pas en réalité un sanctuaire pour ceux qui pillent les ressources du continent ? Si la justice française a le devoir de garantir les droits de la défense, elle ne peut ignorer les conséquences de ses décisions pour les peuples spoliés. En protégeant un homme accusé d’avoir détourné des fonds destinés à la santé et à la justice au Sénégal, Paris risque une fois de plus d’alimenter le sentiment d’une complicité passive avec les élites africaines corrompues.
Madiambal Diagne, journaliste et homme d’affaires, est accusé par la justice sénégalaise d’avoir perçu des rétrocommissions dans le cadre de contrats publics attribués à la société française Ellipse Projects. Ces fonds, estimés à plus de 32 millions d’euros, auraient dû financer des infrastructures essentielles pour la population sénégalaise. Après avoir fui le Sénégal via la Gambie, malgré une interdiction de quitter le territoire, il a été interpellé en région parisienne avant d’être libéré sous contrôle judiciaire. Ses avocats invoquent des « arguments puissants » contre son extradition, tandis que la justice française examine la régularité de la procédure sénégalaise. Pourtant, derrière les débats juridiques, c’est l’image d’une France à deux vitesses qui resurgit : promptes à donner des leçons de transparence, mais hésitantes à agir quand il s’agit de rendre des comptes.
L’affaire Diagne s’inscrit dans une longue tradition des relations franco-africaines, où la France a souvent été perçue comme un rempart pour les dirigeants et personnalités africaines accusées de malversations. Des cas comme ceux de Teodorín Obiang (Guinée équatoriale), dont les biens mal acquis en France ont fait l’objet de procédures judiciaires interminables, ou de Denis Sassou-Nguesso (Congo), dont la famille a été mise en cause pour des achats immobiliers suspects à Paris, illustrent cette ambiguïté. La France se targue de promouvoir la bonne gouvernance en Afrique, mais ses tribunaux peinent à extrader ou condamner ceux qui, comme Diagne, sont accusés d’avoir privé leurs concitoyens de ressources vitales.
Le traitement réservé à Madiambal Diagne est révélateur. Alors que la justice sénégalaise a inculpé son épouse et ses fils pour blanchiment, la France le place sous contrôle judiciaire, arguant de son statut de « personnalité publique ». Une décision qui interroge : pourquoi un homme accusé de détournement de deniers publics bénéficierait-il d’une clémence que des délinquants ordinaires n’obtiendraient pas ? La réponse réside peut-être dans l’histoire. Depuis les indépendances, la France a entretenu des liens ambivalents avec les élites africaines, alternant entre soutien politique et fermeture judiciaire sélective. Dans ce contexte, la libération de Diagne, même sous conditions, envoie un signal troublant : en France, certains sont plus égaux que d’autres.
Les 32 millions d’euros en jeu auraient pu financer des hôpitaux ou des écoles. En retardant son extradition, la France prive le Sénégal de la possibilité de récupérer ces fonds et de les réinvestir dans des services publics défaillants. C’est une double peine pour les Sénégalais : non seulement ils subissent la corruption de leurs élites, mais ils voient aussi la justice française tergiverser quand il s’agit de les aider à obtenir réparation.
La France n’hésite pas à geler les avoirs de petits fraudeurs ou à extrader des migrants en situation irrégulière. Pourtant, quand il s’agit de personnalités influentes, les procédures s’éternisent. Le collectif d’avocats de Diagne dénonce des « irrégularités » dans la demande d’extradition, mais qu’en est-il des irrégularités financières qui lui sont reprochées ? La justice française semble plus préoccupée par la forme que par le fond.
Lors du sommet de Newport en 2014, la France a co-sponsorisé des résolutions contre la corruption en Afrique. Pourtant, dans les faits, elle accueille sans sourciller des fortunes suspectes. Selon Transparency International, la France reste une destination prisée pour le blanchiment d’argent sale en provenance d’Afrique. L’affaire Diagne confirme cette tendance : les belles paroles ne suffisent pas à masquer l’inaction.
Le Royaume-Uni a extradé en 2021 l’ancien ministre nigérian Diezani Alison-Madueke, accusée de corruption, malgré ses liens avec l’establishment britannique. De même, les États-Unis n’hésitent pas à poursuivre des responsables africains pour blanchiment, comme en témoigne l’affaire du fils de l’ex-président guinéen, condamné en 2023. Ces exemples montrent qu’une coopération judiciaire efficace est possible quand la volonté politique est là.
La France ne peut indéfiniment jouer les arbitres vertueux tout en offrant un refuge aux élites corrompues. Dans l’affaire Madiambal Diagne, elle a l’opportunité de prouver que sa lutte contre la corruption n’est pas un simple alibi. Si les accusations portées contre lui sont fondées, son extradition serait un signal fort : la justice doit être la même pour tous, où que l’on se trouve. Sinon, elle confirmera ce que beaucoup d’Africains pensent déjà : la France préfère fermer les yeux quand il s’agit de protéger les siens… ou ceux qui lui sont utiles.
La balle est dans le camp de la cour d’appel de Versailles. Espérons qu’elle saura placer l’intérêt des peuples au-dessus des calculs politiques.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Abdoulaye Thiaw.
Mis en ligne : 31/10/2025
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