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Dans la nuit du 26 octobre à Pikine, un caporal-chef de l’armée sénégalaise a été interpellé pour entrave à l’action de la justice, après avoir tenté d’empêcher l’arrestation d’un tatoueur accusé de détention de chanvre indien. Si les faits sont graves en eux-mêmes, ils révèlent un malaise bien plus profond : celui d’un système où certains, parce qu’ils portent un uniforme, estiment pouvoir interférer dans le travail des forces de l’ordre sans en subir les conséquences. Cet incident n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série de dysfonctionnements qui sapent la confiance des citoyens dans l’égalité devant la loi et alimentent le sentiment d’une justice à deux vitesses.
Au Sénégal, comme dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, les forces de sécurité bénéficient souvent d’une présomption d’impunité. Entre 2021 et 2024, les violences commises par les forces de l’ordre lors de manifestations ont rarement donné lieu à des poursuites effectives. Pire, une loi d’amnistie adoptée en mars 2024 a effacé rétroactivement des infractions commises par des membres des forces de sécurité, réduisant à néant les espoirs de justice pour de nombreuses victimes.
Dans ce contexte, l’intervention musclée d’un militaire pour protéger un voisin, même en dehors de ses fonctions, n’est pas seulement un acte d’insubordination. C’est le symbole d’une culture où l’uniforme est perçu comme un passe-droit, surtout dans des quartiers déjà marginalisés comme Pikine.
Le caporal-chef a agi en tant que voisin, mais c’est bien son statut de militaire qui lui a donné l’audace de s’opposer physiquement à des policiers en service. Son attitude illustre un phénomène bien documenté : la conviction, chez certains agents de l’État, que leur position les place au-dessus des règles communes. Cette perception est d’autant plus dommageable qu’elle se produit dans un pays où la défiance envers les institutions est déjà forte, notamment après les violences répressives des dernières années et l’adoption de lois controversées comme celle sur l’amnistie.
Quand un militaire peut entraver une arrestation sans crainte immédiate de sanctions, quel message est envoyé aux citoyens ordinaires ? Que la loi ne s’applique pas de la même façon à tous, et que la protection de la justice dépend davantage de son statut que de ses actes.
Si un caporal-chef peut s’opposer à une arrestation en toute impunité, que fera un officier supérieur ? Ou un haut responsable politique ? L’absence de réaction ferme des autorités dans de tels cas encourage la répétition de ces comportements, comme l’ont montré les vagues d’arrestations arbitraires et les violences policières impunies des dernières années. Dans des quartiers comme Pikine, où la population se sent déjà abandonnée par l’État, de tels incidents renforcent l’idée que la justice est un outil au service des puissants, et non un rempart pour tous. L’impunité des uniformes alimente la colère et la radicalisation. Les manifestations réprimées dans le sang ces dernières années en sont la preuve : quand les citoyens voient que les abus restent sans réponse, ils finissent par perdre foi dans les institutions et se tournent vers d’autres formes de justice, parfois violentes.
En Afrique de l’Ouest, plusieurs pays font face à une crise similaire. Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les juntes militaires ont systématiquement retardé les transitions démocratiques et protégé leurs membres contre toute poursuite, malgré des exactions documentées. Même en Côte d’Ivoire, où les forces de l’ordre sont massivement déployées pour les élections, la question de leur redevabilité reste entière. Partout, l’uniforme devient un symbole de pouvoir arbitraire plutôt que de protection.
L’affaire de Pikine doit servir d’électrochoc. Il ne suffit pas de placer le caporal-chef en garde à vue. Il faut une réponse judiciaire exemplaire, qui rappelle que personne n’est au-dessus des lois. Les autorités sénégalaises doivent garantir que l’enquête soit transparente et indépendante, sans protection corporatiste, réformer en profondeur les mécanismes de reddition de comptes pour les forces de sécurité et rétablir la confiance en montrant que la justice s’applique à tous, sans distinction de grade ou de fonction.
La démocratie ne se résume pas à des élections. Elle se mesure aussi à la capacité d’un État à faire respecter la loi, y compris, surtout, contre ceux qui sont censés la faire respecter. Si le Sénégal veut éviter de glisser vers l’arbitraire, il doit briser le cycle de l’impunité. Maintenant.
Article opinion écrit par la créatrice de contenu : Khadija P.
Mis en ligne : 05/11/2025
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