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Le récit glaçant rapporté par L’Observateur sur l’arrestation de Mb. Diagne, un cultivateur de Kadam (Diourbel), pour détention illégale d’armes et menaces de mort envers sa première épouse, A. Faye, n’est malheureusement pas un fait divers isolé. Il illustre, une fois de plus, les dangers d’un système polygame qui, sous couvert de tradition, engendre rivalités, inégalités et violences structurelles au sein des foyers. Loins d’être un simple « choix personnel », la polygamie se révèle trop souvent comme un terreau fertile pour l’impunité des hommes et la souffrance des femmes et des enfants. À travers ce cas, c’est toute une organisation sociale qu’il faut interroger : comment un système aussi inégalitaire peut-il encore être toléré, voire encouragé, dans notre société moderne ?
Au Sénégal, la polygamie, bien que réglementée par le Code de la famille, reste une réalité sociale largement acceptée, notamment en milieu rural. Pourtant, les études et témoignages convergent pour souligner ses effets dévastateurs. Selon une enquête de l’UNICEF, les femmes en situation de polygamie sont plus exposées aux violences conjugales, à la précarité économique et à des problèmes de santé mentale. Les enfants, quant à eux, subissent les tensions entre coépouses, avec des répercussions durables sur leur équilibre psychologique. Le cas de Mb. Diagne n’est qu’un exemple parmi d’autres : une altercation entre épouses, un mari qui prend parti, et une escalade de violence qui aurait pu tourner au drame. Pourtant, ces dynamiques sont rarement dénoncées avec la fermeté qu’elles méritent.
Dans ce contexte, la polygamie n’est pas un simple arrangement matrimonial, mais un système qui institutionnalise l’inégalité. Les femmes, souvent dépendantes économiquement, n’ont que peu de recours face aux abus. Les enfants, tiraillés entre loyautés familiales, grandissent dans un climat de tension permanente. Pourtant, la société ferme trop souvent les yeux, invoquant la tradition ou la stabilité familiale.
L’affaire de Diourbel révèle plusieurs dysfonctionnements criants. D’abord, l’attitude de Mb. Diagne, qui, au lieu d’apaiser le conflit, a choisi de menacer sa première épouse avec une arme à feu, est révélatrice d’un sentiment d’impunité. En polygamie, les maris détiennent un pouvoir quasi absolu : ils arbitrent les conflits, distribuent (ou retirent) leur affection, et, comme dans ce cas, recourent à la violence pour imposer leur autorité. Le fait que ce soit un enfant de A. Faye un militaire qui ait dû intervenir pour protéger sa mère en dit long sur l’absence de mécanismes de protection pour les femmes dans ces configurations.
Ensuite, la découverte d’armes de guerre chez le mis en cause pose une question cruciale : comment un homme peut-il détenir de telles armes sans autorisation, et que dit cela de l’efficacité des contrôles ? Mais au-delà de la question sécuritaire, c’est bien la polygamie elle-même qui crée les conditions de ces drames. Les rivalités entre épouses, attisées par la jalousie et la compétition pour les ressources du mari, sont une bombe à retardement. Les enfants, pris dans ces conflits, deviennent soit des victimes collatérales, soit des acteurs malgré eux, comme en témoigne la dénonciation du fils de A. Faye.
Enfin, l’argument selon lequel ces armes auraient été « héritées » est symptomatique d’une culture où la transmission des privilèges masculins y compris celui de dominer par la force prime sur la sécurité et le bien-être des membres les plus vulnérables de la famille.
La polygamie place les femmes en situation de concurrence permanente, ce qui les rend vulnérables aux abus. Une étude publiée dans The Journal of Marriage and Family montre que les femmes en polygamie rapportent des niveaux de stress et de dépression significativement plus élevés que celles en union monogame. Au Sénégal, où les inégalités de genre sont déjà marquées, la polygamie aggrave ces disparités.
Les hommes polygames bénéficient souvent d’une tolérance sociale qui les place au-dessus des lois. Combien de cas comme celui de Mb. Diagne restent dans l’ombre, faute de dénonciation ? La peur des représailles, la honte, ou la pression familiale dissuadent les victimes de parler. Quand elles osent le faire, comme A. Faye, c’est souvent au prix d’un courage exceptionnel et parfois, comme ici, grâce à l’intervention d’un tiers.
Les conflits entre coépouses ont des répercussions dramatiques sur les enfants. Une recherche de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar souligne que les enfants issus de familles polygames présentent des taux plus élevés de troubles anxieux et de difficultés scolaires. Dans le cas de Diourbel, les enfants de A. Faye ont dû choisir entre leur mère et leur père, une situation psychologiquement insoutenable.
La polygamie est souvent défendue au nom de la culture ou de la religion. Pourtant, elle entre en contradiction flagrante avec les principes d’égalité et de dignité humaine. Des pays comme la Tunisie ou la Turquie ont interdit ou strictement encadré cette pratique, montrant qu’il est possible de concilier respect des traditions et protection des droits des femmes.
Au Maroc, où la polygamie est légalement autorisée mais strictement réglementée, les cas de violences conjugales dans ce contexte ont diminué depuis le renforcement des conditions pour contracter un mariage polygame (notamment l’obligation d’informer la première épouse et de justifier de ressources suffisantes). En Afrique du Sud, la polygamie est également encadrée par des lois visant à protéger les droits des épouses. Ces exemples montrent qu’il est possible de limiter les abus sans nier les réalités culturelles.
En revanche, dans des pays comme l’Arabie Saoudite ou certains États du Nigeria, où la polygamie est peu régulée, les cas de violences et d’inégalités sont bien plus fréquents. Le Sénégal, qui se targue d’être un modèle de démocratie en Afrique, ne peut plus se permettre de fermer les yeux sur ces réalités.
L’affaire de Diourbel doit servir de déclic. La polygamie n’est pas une simple question de mœurs : c’est un système qui perpétue les inégalités, protège les abus et met en danger les plus vulnérables. Il faut que la société sénégalaise, dans son ensemble, reconnaisse ces dangers et agisse pour protéger les femmes et les enfants.
Cela passe par un renforcement des lois en conditionnant davantage la polygamie et en sanctionnant sévèrement les abus mais aussi par un changement des mentalités. Les leaders religieux, les médias et les décideurs politiques ont un rôle clé à jouer pour dénoncer ces pratiques et promouvoir des modèles familiaux fondés sur l’égalité et le respect.
Le cas de Mb. Diagne n’est pas une exception, mais le symptôme d’un mal plus profond. Tant que la polygamie sera tolérée sans réserve, des femmes comme A. Faye continueront de vivre dans la peur, et des enfants grandiront dans l’insécurité. Il faut agir, pour que la tradition ne serve plus de couverture à l’injustice.
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Moussa Sow.
Mis en ligne : 07/11/2025
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