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L’arrestation de Seydina Fall alias Boughazeli, ancien député reconverti en agent immobilier, pour escroquerie en cascade, aurait pu surprendre. Pourtant, elle s’inscrit dans une série de scandales qui, loin d’être anecdotiques, révèlent les failles béantes d’un système où l’impunité et la complicité passive permettent à des individus comme lui de réapparaître sous de nouveaux visages, au mépris des victimes et de la justice. Selon Libération et plusieurs médias sénégalais, Boughazeli, déjà mis en cause dans une affaire de faux billets en 2019, a pu poursuivre ses agissements grâce à un environnement propice : absence de blacklistage, manque de transparence, et réseaux de protection présumés. Son cas interroge : comment un homme déjà condamné pour des faits graves a-t-il pu se reconvertir dans l’immobilier et escroquer à nouveau des dizaines de personnes ? La réponse réside moins dans l’audace d’un individu que dans les défaillances d’un écosystème où la récidive prospère, faute de garde-fous efficaces.
En novembre 2019, Boughazeli était déjà au cœur d’un scandale : arrêté pour trafic présumé de 32 milliards de FCFA en faux billets, il bénéficiait pourtant d’une liberté qui lui a permis de se lancer dans l’immobilier, un secteur peu régulé et propice aux arnaques. Malgré des antécédents judiciaires lourds, aucun mécanisme n’a empêché sa reconversion. Pire, son statut d’ancien député semble avoir facilité sa crédibilité auprès de victimes en quête de logement, souvent issues de milieux précaires. Le modus operandi est toujours le même : promesses de logements à la plage de Malibu, versements en cash, puis disparition des fonds et des interlocuteurs. Les témoignages recueillis par Libération et Dakaractu révèlent que cinq personnes ont déjà porté plainte pour un préjudice total de plus d’1,2 million de FCFA, mais le nombre réel de victimes pourrait être bien plus élevé.
L’affaire actuelle n’est donc pas un cas isolé, mais la conséquence d’un système où les escrocs de haut vol sont rarement interdits d’exercer ou blacklistés. Au Sénégal, comme dans d’autres contextes africains, la récidive est fréquente, et les victimes peinent à obtenir réparation. La question se pose : qui a permis à Boughazeli de continuer ?
Contrairement à d’autres pays, le Sénégal ne dispose pas d’un fichier centralisé et accessible des délinquants économiques. Les victimes de Boughazeli n’ont pas été alertées sur ses antécédents, faute d’un système d’information transparent et efficace. Pourtant, des initiatives existent ailleurs : en Côte d’Ivoire ou en France, des registres publics permettent de vérifier le casier judiciaire des professionnels. Au Sénégal, rien de tel. Les agences immobilières et les notaires ne sont pas tenus de consulter une base de données nationale avant de travailler avec un intermédiaire.
Boughazeli, ancien député de l’APR (parti au pouvoir sous l’ancien régime), a pu bénéficier de réseaux politiques ou administratifs pour se reconvertir. Son statut d’élu a-t-il facilité son accès à des opportunités dans l’immobilier ? Les témoignages évoquent un « bailleur autoproclamé » qui jouissait d’une certaine impunité, malgré des plaintes répétées. Cette porosité entre sphère politique et économique est un terreau fertile pour les escrocs, qui savent exploiter les failles de la régulation.
Le marché immobilier sénégalais souffre d’un manque criant de contrôle. Malgré des réformes annoncées depuis 2017 pour encadrer les activités des promoteurs et des courtiers, la mise en œuvre reste lente et inefficace. La Commission nationale de régulation des loyers (CONAREL) et la Direction générale des Impôts et des Domaines (DGID) peinent à imposer des sanctions dissuasives. En 2025, la DGID a lancé une campagne de régularisation des revenus locatifs, mais celle-ci reste insuffisante pour endiguer les fraudes. Les courtiers comme Dieng, complice présumé de Boughazeli, opèrent souvent sans certification ni contrôle, ce qui aggrave la vulnérabilité des locataires.
Les escrocs récidivistes comme Boughazeli savent que les procédures judiciaires traînent en longueur et que les condamnations sont rarement suivies d’interdictions professionnelles. En 2024, un autre escroc notoire, Mamadou Ka, a été condamné pour arnaque aux visas, mais rien n’a empêché des cas similaires de se reproduire. La justice sénégalaise, bien que mobilisée, manque de moyens pour suivre les dossiers et prévenir la récidive.
Le cas Boughazeli n’est pas unique. En 2025, la Division spéciale de cybersécurité a démantelé un réseau d’arnaque numérique (Seyp Sénégal) qui a escroqué des centaines de personnes pour 2,5 milliards de FCFA. Là encore, les victimes étaient des citoyens en quête d’opportunités, et les auteurs ont pu agir en toute impunité pendant des mois. À Guédiawaye, un autre escroc foncier a été arrêté pour avoir vendu de faux terrains, illustrant l’ampleur du phénomène.
Ces affaires montrent que le problème dépasse l’individu : c’est tout un système qui favorise la récidive, faute de prévention, de transparence et de sanctions exemplaires.
L’affaire Boughazeli est un symbole des dysfonctionnements qui minent la confiance dans les institutions. Pour y remédier, plusieurs mesures s’imposent :
Créer un fichier national des escrocs, accessible aux notaires, agences immobilières et citoyens.
Renforcer les contrôles sur les courtiers et promoteurs, avec des sanctions immédiates en cas de fraude.
Accélérer les procédures judiciaires pour éviter que les victimes attendent des années avant d’obtenir justice. Sensibiliser le public aux risques d’arnaque, notamment dans l’immobilier, un secteur où la précarité rend les citoyens vulnérables.
Le procès du 10 décembre sera un test pour la justice sénégalaise. Mais au-delà de ce cas, c’est toute la société qui doit se mobiliser pour briser le cycle de la complicité passive. Car tant que les escrocs pourront compter sur l’inaction des uns et la naïveté des autres, des affaires comme celle de Boughazeli continueront de se répéter, au détriment des plus fragiles.
Comment concilier rapidité de la justice et protection des victimes, dans un contexte où les réformes peinent à se concrétiser ?
Article opinion écrit par le créateur de contenu : Mbaye Sarr.
Mis en ligne : 21/12/2025
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