Le monde du cinéma africain perd une de ses figures les plus emblématiques. Souleymane Cissé, réalisateur malien et pionnier du septième art sur le continent, est décédé le mercredi 19 février 2025 à Bamako, à l’âge de 84 ans.
L’annonce de sa disparition a été faite par sa fille, Mariam Cissé, à l’Agence France-Presse. « Papa est décédé aujourd’hui à Bamako. Nous sommes sous le choc. Toute sa vie, il l’a consacrée à son pays, au cinéma et à l’art », a-t-elle déclaré, bouleversée.
Souleymane Cissé avait marqué l’histoire du cinéma en devenant en 1987 le premier réalisateur d’Afrique subsaharienne à recevoir le prestigieux Prix du Jury au Festival de Cannes pour son film Yeelen. Ce long-métrage, qui raconte l’initiatique parcours d’un jeune homme issu d’une noble famille bambara, est considéré comme un chef-d’œuvre. Il avait été couronné ex-aequo avec Shinran ou la Voix immaculée du réalisateur japonais Rentaro Mikuni. À cette occasion, Cissé avait exprimé sa gratitude dans un discours émouvant : « Ce prix n’est, je pense, pas pour moi mais surtout pour ceux qui m’ont aidé de l’autre côté et qui n’ont pas le droit de parler. »
Le critique de cinéma Jean-Michel Frodon souligne l’importance du film Yeelen, le qualifiant d’œuvre essentielle dans l’histoire du cinéma mondial. Il y déploie une réflexion profonde sur les rapports humains, les relations entre parents et enfants, ainsi que la manière de percevoir la nature et la culture, des thématiques universelles qui ont permis au film de toucher un large public.
Cissé est également resté un habitué des festivals, notamment celui de Cannes, où il a laissé une empreinte indélébile. Le réalisateur tchadien Mahamat Saleh Haroun se souvient de lui : « J’en garde aujourd’hui une image iconique : Souleymane Cissé dans son grand boubou blanc, reconnaissable entre des centaines de milliers de personnes. »
Formé en Union soviétique dans les années 1960, Souleymane Cissé a démarré sa carrière en tant que projectionniste avant de devenir directeur de la photographie. De retour au Mali en 1970, il se lance dans le journalisme cinématographique et réalise son premier film, Den Muso (1975), une œuvre qui dénonce l’oppression des femmes et pour laquelle il fut incarcéré. Ce n’est qu’un début pour un cinéaste infatigable. Il enchaîne avec Baara (1978) et Finyè (1982), qui abordent respectivement la condition ouvrière et la répression étudiante, des sujets sociaux brûlants qui lui valent deux fois l’Étalon de Yennenga au Fespaco.
Souleymane Cissé a toujours revendiqué l’importance du cinéma comme outil d’expression culturelle et politique. « C’est à travers les images que j’ai voulu m’exprimer, pour que le monde entier découvre cette culture qui a toujours été ignorée par certains », confiait-il en 1982, à propos de son film Finyè.
Le cinéma de Souleymane Cissé, souvent nourri de ses luttes et révoltes personnelles, a été un vecteur de résistance à l’oppression et un cri pour l’émancipation de l’Afrique. Le producteur tunisien Mohammed Challouf résume bien son œuvre : « Il a voulu faire du cinéma pour restituer à l’Afrique son humanité et l’aider à s’émanciper de son passé colonial. »
Son patrimoine cinématographique, aujourd’hui incontournable, reste cependant trop souvent méconnu des nouvelles générations. De son côté, Jean-Michel Frodon appelle à sa préservation et sa numérisation pour qu’il puisse être transmis et apprécié à sa juste valeur.
Alors qu’il devait présider le jury « fiction long-métrage » du Fespaco, prévu du 22 au 29 février à Ouagadougou, Souleymane Cissé a également reçu en 2023 le Carrosse d’Or à Cannes, une distinction prestigieuse, en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au cinéma mondial. « Le cinéma aura été ma vie. Pour cela, je remercie le cinéma », avait-il déclaré avec émotion lors de la remise de ce dernier prix.
La disparition de Souleymane Cissé laisse un vide immense dans le monde du cinéma, mais son héritage continuera d’inspirer les générations futures, à la fois en Afrique et au-delà.
Article écrit par : Sophie Diop
Mis en ligne : 20/02/2025
—
La plateforme NOTRECONTINENT.COM permet à tous de diffuser gratuitement et librement les informations et opinions provenant des citoyens. Les particuliers, associations, ONG ou professionnels peuvent créer un compte et publier leurs articles Cliquez-ici.