C’est un geste inattendu qui bouscule le paysage politique ivoirien à cinq mois de l’élection présidentielle. Dimanche 11 mai, Tidjane Thiam, figure de proue de l’opposition et patron du PDCI-RDA, a annoncé sa démission surprise de la présidence du parti, qu’il confie à son doyen d’âge, Ernest N’Koumo Mobio. Une décision qui, loin d’être un abandon, semble relever d’une stratégie finement calculée.
« Abandon ou tactique politique réfléchie ? » s’interroge L’Infodrome, à Abidjan, qui penche clairement pour la seconde option. Car cette annonce intervient dans un contexte de fortes turbulences politico-judiciaires. Depuis février, Tidjane Thiam, ancien directeur général du Crédit Suisse, fait face à deux fronts judiciaires : d’un côté, sa supposée inéligibilité, du fait de sa double nationalité franco-ivoirienne passée ; de l’autre, une action intentée en interne par Valérie Yapo, ancienne déléguée du parti, contestant sa légitimité à la tête du PDCI.
La plaignante exige ni plus ni moins que la destitution de Thiam et la mise du parti sous administration judiciaire. Une décision est attendue le jeudi 15 mai. Anticipant un verdict défavorable, le désormais ex-président du PDCI semble avoir choisi de se retirer, le temps de désamorcer la bombe judiciaire.
Une lecture partagée par WakatSéra, qui décrit une « stratégie d’évitement » bien huilée. En renonçant provisoirement à son poste, Thiam éviterait au PDCI d’être mis sous tutelle par un administrateur judiciaire — hypothèse plausible en cas de victoire judiciaire de Valérie Yapo. Désormais simple militant, il coupe l’herbe sous le pied de la justice.
Surtout, ayant officiellement renoncé à sa nationalité française, Tidjane Thiam pourrait se repositionner très vite. Un congrès extraordinaire, convoqué en urgence pour ce mercredi, pourrait lui offrir l’occasion de briguer à nouveau la présidence du parti. Et dans les rangs du PDCI, il reste le favori incontesté.
Mais l’obstacle majeur demeure : son exclusion de la liste électorale. Le 22 avril dernier, la justice ivoirienne a estimé que Thiam aurait perdu sa nationalité ivoirienne entre 1987 et 2025, le rendant de fait inéligible. Une décision qui le prive, pour l’instant, de toute ambition présidentielle.
Il n’est pas le seul dans ce cas. Depuis 2020, la plupart des poids lourds de l’opposition ont été écartés de la scène électorale : Laurent Gbagbo, pour un supposé braquage de la BECEAO — que l’institution elle-même dément —, Guillaume Soro, condamné à perpétuité pour tentative de coup d’État, ou encore Charles Blé Goudé, malgré son acquittement par la Cour pénale internationale, écopant de 20 ans de prison en Côte d’Ivoire.
Pourtant, aucun ne semble prêt à déposer les armes. Gbagbo, toujours combatif, a récemment installé un comité chargé de collecter les parrainages requis pour toute candidature, comme si de rien n’était.
Face à ces exclusions en série, certains observateurs évoquent un possible « scénario sénégalais ». L’Observateur Paalga, au Burkina Faso, évoque une éventuelle « jurisprudence Pastef », en référence au cas du Sénégal : Ousmane Sonko, frappé d’inéligibilité, avait cédé la place à son bras droit, Bassirou Diomaye Faye, qui finit par remporter la présidentielle.
Tidjane Thiam pourrait-il emprunter cette voie ? Et si oui, à qui passerait-il le flambeau ? La question reste pour l’heure sans réponse.
En toile de fond, plane une autre incertitude : celle d’une potentielle candidature d’Alassane Ouattara. Le président sortant, 83 ans, entretient le flou. Officiellement, il se dit « désireux de continuer à servir son pays », sans confirmer s’il briguera un quatrième mandat.
En attendant, la recomposition de l’opposition, entre stratégies de contournement judiciaire et appels à la mobilisation, se poursuit. Et comme le souligne Afrik.com, au-delà des jeux de positionnement, ce feuilleton relance un débat fondamental sur « l’indépendance de la justice, la transparence du processus électoral et l’ouverture du jeu démocratique à une véritable compétition ».
Article écrit par : Mariama Ba
Mis en ligne : 13/05/2025
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